Orphelins de Dennis Kelly

Tragique fait divers

Orphelins de Dennis Kelly

Quand Liam, le tee-shirt maculé de sang, pousse la porte du salon on sait tout de suite qu’il apporte le drame dans la maison de sa sœur. Elle le sait aussi mais n’en montre rien. S’engage alors un dialogue qui devient vite électrique ; Liam élude les questions posées, se trahit et doit justifier ses explications incohérentes dans une fuite en avant qui le fera trébucher définitivement, contraint à confesser la vérité. Durant une heure et demie, Liam ment, Helen le soutient autant qu’elle peut sans y croire, Danny joue le jeu sans y croire non plus. Le frère et la sœur sont liés par un passé tragique, très jeunes, ils ont perdu leurs parents dans un accident. On ne sait pas si Liam a lâché la rampe du bon sens à ce moment-là ou s’il était déjà un enfant fragile, potentiellement border line. Il a pourri la vie de sa sœur qui l’a pourtant toujours protégé. Elle est déchirée entre des tensions intérieures contradictoires, tout comme Liam qui joue à cache-cache avec la vérité et Danny lui voudrait immédiatement appeler la police mais il fait des efforts pour respecter les décisions d’Helen qu’il conteste. Pris comme des rats dans une souricière, ils auront beau se débattre, ils ne pourront échapper à la dure réalité qui fera imploser la cellule familiale.
Tensions et inquiétude mettent les personnages dans un état de fébrilité extrême qui se traduit par des dialogues très rapides, heurtés, des phrases inachevées, en suspens, chahutées par les idées qui se bousculent dans la tête de chacun. Le trio d’acteurs tient les rênes courtes au texte haletant de Dennis Kelly dans cette enquête à huis-clos digne d’un film noir. La mise en scène de la jeune Chloé Dabert est aiguisée comme le couteau qui a servi à Liam pour son agression gratuite. La scénographie originale de Pierre Nouvel met le spectateur dans une position de voyeur et isole encore plus les personnages. Au-delà du fait divers, le spectacle pose des questions fondamentales sans jugement, sans donner de réponses : doit-on protéger sa famille avant tout au risque de se compromettre ? Doit-on faire taire son instinct et se taire ou privilégier la responsabilité du citoyen et dénoncer le crime ? On voit comment un jeune homme paumé, qui s’excuse tout le temps d’être ce qu’il est, peut se laisser manipuler par un cinglé néo-nazi et sans rien comprendre commettre une agression raciste gratuite. Misère de la condition humaine et terrible banalité du mal.

Orphelins de Dennis Kelly, traduction Philippe Lemoine, mise en scène Chloé Dabert, scénographie Pierre Nouvel, lumières Kelig Le Bars assistée de Nicolas Bazoge avec Sébastien Eveno, Julien Honoré, Joséphine de Meaux. Au 104 à 20h30. Durée 1h30.
Jusqu’au 4 mai puis tournée.
Production Théâtre du Rond-point

© Bruno Robin

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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