Nicolas de Staël, la fureur de peindre
A la rencontre de l’artiste
Comme beaucoup d’artistes, et peut-être même plus que d’autres, Nicolas de Staël peint par nécessité intérieure. La peinture comme seule issue, seul recours contre l’intolérable inquiétude de vivre. C’est là peut-être la raison de son suicide brutal en 1955, à Antibes, à 41 ans, que rien ne laissait prévoir, en apparence. Inoubliable silhouette élégante et élancée, De Staël était un être et un artiste passionné, torturé, amoureux malheureux et peintre perpétuellement insatisfait de lui-même, en quête de l’inaccessible étoile. Un an plus tôt, il avait écrit à Jacques Dubourg : « Ce que j’essaie c’est un renouvellement continu, vraiment continu, et ce n’est pas facile. Ma peinture je sais ce qu’elle est sous ses apparences sa violence, ses perpétuels jeux de force c’est une chose fragile dans le sens du bon, du sublime, c’est fragile comme l’amour. »
Né en 1914 dans une famille aristocrate russe qui s’exile en 1917 en Pologne, De Staël perd brutalement ses parents deux ans plus tard et se retrouve dans une famille russe en Belgique. A l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, il découvrira les peintres qui compteront le plus pour lui, Matisse, Cézanne, et surtout Braque, « le plus grand des peintres » avec qui il nouera une profonde amitié. Ses premiers tableaux sont abstraits, mais il se détourne vite de l’abstraction pour le figuratif qui lui vaudra ses premiers succès assez tôt dans sa courte carrière. Finalement son art singulier et puissant, unique, le conduira à la lisière de l’abstraction et du figuratif sur une crête incertaine et périlleuse au sommet de laquelle, funambule, il cherche « l’équilibre sans équilibre », il fait « sonner les couleurs » dans des espaces vifs aux tons pétants, souvent tranchés et profonds qui diffusent une impalpable mélancolie. Le peintre traque « la fulgurance de l’autorité et de l’hésitation », « l’intensité de la frappe et de la méditation », des paradoxes qui confèrent aux toiles leur dynamisme tout en offrant aux spectateurs l’occasion d’une rêverie infinie.
C’est la découverte de la correspondance du peintre, d’abord avec René Char, son ami, mais aussi avec les différents marchands d’art qui ont cru en lui et avec certains collectionneurs, qui a suscité l’idée du spectacle. Un beau projet imaginé par Bruno Abraham-Kramer et Corine Juresco qui a le mérite de faire découvrir cet artiste inclassable, son art, son intimité. Rare sont les peintres qui savent parler de leur art avec autant de force et de précision. A René Char il confie : « On ne peint jamais ce qu’on voit ou croit voir, on peint à mille vibrations le coup reçu, à recevoir. »
Les couleurs explosent ou semblent s’évanouir sur les fragments de tableaux projetés sur de hauts draps qui dominent la scène, c’est très beau. La partie musicale du spectacle est moins convaincante. Trop présente et d’un intérêt relatif, elle lutte contre le texte et c’est peut-être pourquoi Bruno Abraham-Kremer, d’habitude nuancé et subtil, ici hausse le ton à l’excès et le contrebassiste se noie un peu dans les mots.
Nicolas De Staël, la fureur de peindre. D’après la correspondance de Nicolas de Staël. Un spectacle de Bruno Abraham-Kremer et Corine Juresco. Avec Bruno Abraham Kremer ; Hubertus Biermann (jeu et contrebasse) ; Jean-Baptiste Favory (électroacoustique) ; scénographie, lumière et vidéos, Arno Veyrat ; costumes, Charlotte Villermet. A Paris, au Lucernaire, jusqu’au 15 novembre à 19h. Durée 1h15.
© Pascal Gély