La Colline - Théâtre National
Neige, texte et mise en scène de Pauline Bureau
Hors des faux-semblants et des préjugés, la réalité retrouvée grâce au conte.

La forêt est au théâtre le lieu des fées et des esprits où se réalisent, à la manière shakespearienne, les renversements de situation, les scènes de travestissement, les changements de sexe, la ré-appropriation inconsciente et révélée enfin des désirs cachés. Figure du désordre, de la profusion et de l’exubérance - vision mythique d’une nature romantique -, la forêt recèle les animaux en communication possible avec les hommes, paradis d’avant la chute, et jardin des origines du début de l’humanité, selon Rousseau.
Sur le plateau de Neige - saluons la scénographie d’Emmnuelle Roy -, des troncs nus d’arbres hivernaux sont plantés haut, avec un feuillage vert au lointain où passent des images fantastiques irréelles et magnifiques - un cerf, un loup, des meutes bestiales à fourrure issues de bois oniriques, grâce au vidéaste et magicien Clément Dubailleul.
Neige pour la conceptrice inventive Pauline Bureau est un conte ; un teen movie sur le passage de la petite fille en jeune fille puis en femme. Après s’être projetée sur Blanche-Neige qui meurt et renaît dans le conte, elle prendrait à présent les atours de la mère et de la belle-mère au long manteau androgyne, adulte qui a du mal à voir en sa petite fille une jeune rivale nouvelle dans cette épreuve fondatrice d’être à la fois enfant et parent. Marie Nicolle pour le rôle maternel est juste de fébrilité, d’assurance et de fragilité mêlées - l’âme s’étant perdue dans une activité professionnelle effrénée, portant inattention à sa fille.
Neige est l’histoire d’une jeune fille qui fugue, échappe à l’aventure prévue pour elle par ses parents, tissant des liens personnels qui la dévoilent à elle-même, obligeant sa mère à pénétrer aussi la forêt afin qu’elle se reconnaisse dans un lien mère/fille enfin apaisé.
Camille Garcia incarne Neige, facétieuse et vraie à la fois, joliment enfantine et mature. Yann Burlot est le père absent, inexistant, désengagé, qui se métamorphosera pourtant.
Retrouver ainsi l’innocence initiale, là où les êtres vivent et sont, loin de la société, dans l’errance - un refuge -, tels les enfants perdus comme Blanche-Neige pour échapper à un pouvoir mauvais, s’opposer à la loi hors de la cité car le temps éloigne progressivement les hommes de la voie juste, et pour recouvrer celle-ci, la retraite est obligée. Ce qu’a compris le Chasseur, un ermite qui vit à l’écart de l’Histoire, installé dans la forêt pour connaître la vérité, ayant mis à bas toutes les fausses certitudes, dans un lieu archaïque.
Régis Laroche est ce solitaire lumineux qui a quitté son poste d’ingénieur agronome, inassimilable aux autres, préférant la forêt où ne sévissent ni classements ni hiérarchies.
Pour s’orienter hors des repères spatiaux et temporels, on marque son chemin de signes stables, la citerne installée à cour, à l’orée de la forêt, pour la fugueuse Neige, munie d’une carte géographique, qui se repère bien plus vite que par GPS… Ses amis sont des jeunes gens en errance comme elle, à l’affût vif de leur propre être-là : Anthony Roullier et Claire Toubin sont des âmes damnées mais positives qui mèneront à bien la fable.
Le chasseur, l’eau, les bois, le brouillard, la nuit, la neige font advenir le rêve vivant : sur l’écran, les effets de miroir, de reflet et de transparence - vidéo subaquatique de jeunes gens plongeurs entre inconscient et réalité, dans la citerne d’eau ressourçante - bébé dans le liquide amniotique ou active baignade alanguie de deux amants ou de deux amies.
Un spectacle enchanteur invitant les petits et les grands à éprouver les pouvoirs de la forêt.
Neige, texte et mise en scène de Pauline Bureau, scénographie et accessoires Emmanuelle Roy, costumes Alice Touvet, composition musicale et sonore Vincent Hulot, dramaturgie Benoîte Bureau, vidéo et magie Clément Debailleul, lumières Jean-Luc Chanonat, maquillages et perruques Julie Poulain, collaboratrice artistique Valérie Nègre. Avec Yann Burlot, Camille Garcia, Régis Laroche, Marie Nicolle ; Anthony Roullier, Claire Toubin. Du 1er au 22 décembre 2023, du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30, mardis 5 et 12 décembre à 14h30 et 19h30, jeudis 7 et 14 décembre à 14h30 et 20h30, à La Colline - Théâtre National. Dès 10 ans. Les 11 et 12 janvier 2024 au Bateau feu – Scène nationale de Dunkerque. Le 25 janvier 2024 au Cratère - Scène nationale d’Alès. Les 5 et 6 février, à la Scène nationale 61 – Alençon-Flers-Mortagne au Perche. Les 11 et 12 avril 2024 à L’Espace des arts – Scène nationale de Chalon-sur-Saône. Les 17 et 18 avril 2024 au Théâtre de Cornouaille – Scène nationale de Quimper.
Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage.