Du 19 septembre au 7 octobre 2024 au T2G -Gennevilliers dans le cadre du Festival d’Automne.

Maître obscur de Kurō Tanino

Des êtres abandonnés à eux-mêmes et à l’IA - sans espoir.

Maître obscur de Kurō Tanino

Kurō Tanino obtient le 60 ème Kishida Drama Award en 2016 pour sa pièce Avidya – L’Auberge de l’obscurité. Nous avions fort apprécié ce spectacle, à l’époque. L’artiste crée la troisième version de The Dark Master. Les deux pièces sont données au T2G dans le cadre Japonismes 2018, avec le Festival d’Automne à Paris. En 2021, il revient avec La Forteresse du sourire.(The Dark Master et Avidya – L’Auberge de l’obscurité, édit. Espaces 34)

L’intelligence artificielle (IA) imprègne nos vies et nos comportements. Dramaturge de la poésie du quotidien et des mouvements imperceptibles intimes, Kurō Tanino met en scène un monde où la technologie dévoile les profondeurs de l’inconscient. Enclin aux dispositifs scéniques réalistes sur l’étrangeté des existences contemporaines, le metteur en scène japonais, invité pour la cinquième fois au Festival d’Automne, offre Maître obscur, inspiré de The Dark Master (2016) : soit l’angoisse des manipulations via l’humour et le burlesque

Créé avec des acteurs français, Maître obscur plonge cinq êtres dans un établissement de réadaptation à la vie quotidienne, contrôlé par une IA solitaire et sollicitant les capacités cognitives humaines. Dans un intérieur kitsch des années1970-1980, les personnages, sujets d’une expérience de psychologie sociale, sont guidés par la voix désincarnée.

Une réflexion sur l’emprise et la manipulation des consciences à travers des actions anodines - cuisiner ou boire un café -, les êtres développent des relations intimes avec leur invisible compagnon, maître bienveillant, instrument de contrôle. Conte philosophique et dystopie, Kurō Tanino use d’un dispositif sonore et vidéo, outil d’observation politique de ces technologies et également des complexités intérieures de toute existence. 

Dans ce décor triste d’un autre temps - tel un retour en arrière dans une époque révolue, les pensionnaires participent à un programme de réadaptation à la vie quotidienne. Apparaissent successivement cinq personnages guidés par cette voix, s’essayant à danser, à nettoyer la cuisine ou à cuire un steak. Bienveillante et inquiétante, l’I A est la véritable protagoniste d’un spectacle sur les paradoxes de notre condition.

Le constat n’est guère optimiste - IA ou pas -, la présence de la voix « étrangère » à soi ne fait que confirmer notre propre solitude et apporter le constat d’une fragilité intrinsèque de l’être, inadapté à un monde violemment ordonné, selon les critères socio-économiques indélébiles d’une réussite personnelle et professionnelle à travers le gain d’argent, la dépense et la consommation, qu’elle soit matérielle, psychologique ou sexuelle. Le vide et l’absence de soutien sont manifestes, hors de la moindre empathie jouée ou simulée.

Les acteurs français tiennent leur rôle, coupé au cordeau. Stéphanie Béghain et Gaëtan Vourc’h dessinent un couple improbable si ce n’est impossible, tant la femme semble accablée, dévorée par un mal intérieur qui la brise, consciente mais refusant l’ouverture. L’homme, tout autant fragile, mais portant sa souffrance avec plus de distance et de perspective, n’hésite pas à dessiner une figure de lui-même burlesque, amusée et loufoque, faisant des pas presque de claquettes à la Fred Astaire. Lorry Hardel, revenue de tout, joue l’ado d’aujourd’hui, désinvolte, refusant tout et ne pensant qu’à son bon plaisir dans un monde hostile : elle n’en fait pas moins l’effort héroïque et relativement complexe de se faire un burger au boeuf-fromage…Quant à Mathilde Invernon, mobile et active, elle semble ne plus pouvoir quitter un état permanent d’excitation. Et il suffit que Jean-Luc Verna apparaisse pour que le public saisisse son « étrangeté ».

La voix magique avait pourtant préparé le spectateur à jouer, grâce au casque audio dont il dispose : reconnaître les bruits croquants de chips, les versements de liquide froid ou chaud, la mastication d’un hamburger avec des cornichons….Des rappels retrouvés comme un jeu de piste au cours de la narration.

Or, l’invitation ludique n’est pas tenue jusqu’au bout, tant les êtres mis en observation semblent insatisfaits, frustrés, malheureux, incompris, Intelligence Artificielle (IA) ou pas. Le spectateur ne peut épouser qu’un regard surplombant sur un état des lieux décidément non porteur d’espérance.

Kuro Tanino - Maître obscur. Le Festival d’Automne à Paris. Texte et mise en scène
Kurō Tanino, traduction Miyako Slocombe. Avec Stéphanie Béghain, Lorry Hardel, Mathilde Invernon, Jean-Luc Verna et Gaëtan Vourc’h, collaboration artistique
Masato Nomura, Kyoko Takenaka, scénographe Michiko Inada, lumières Diane Guérin, son Vanessa Court, vidéo Boris Van Overtveldt, costumes Laura Lemmetti, accessoires Zoé Hersent. Du 19 septembre au 7 octobre au Théâtre de Gennevilliers - T2G, du lundi au vendredi 20h, relâches mardi et mercredi, samedi 18h, dimanche 16h, 41 avenue des Grésillons - Gennevilliers.

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez.

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Véronique Hotte

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