Lettre à une deuxième mère de Constance de Saint Rémy

Simone de Beauvoir, femme avant-gardiste en son temps et pleinement d’aujourd’hui.

Lettre à une deuxième mère de Constance de Saint Rémy

« En ces temps où le féminisme se voit repris, détourné, utilisé dans une démarche de pinkwashing, il est pertinent de savoir ce que Simone de Beauvoir aurait à dire encore. Relire et réentendre la grande dame se révèle « nécessaire », à l’heure où elle pourrait être réduite à son identité de femme blanche intellectuelle et bourgeoise, alors qu’elle défendait le principe de l’existentialisme - l’identité en devenir d’un être en construction. »

Redonner vie aux disparus, faire parler les êtres qui nous survivent à travers leurs oeuvres - ici, littérature et philosophie - , et retrouver le dialogue avec ceux dont la parole reste intense et présente, tel est le voeu de l’autrice et metteuse en scène Constance de Saint Rémy. Le spectacle Lettre à une deuxième mère - un soliloque épistolaire - explore l’héritage de Simone de Beauvoir, avant-gardiste en son temps et pleinement du nôtre.

Il a fallu à la conceptrice plonger dans l’oeuvre et dans les lettres adressées à Sartre, à Nelson Algren et à toutes ces femmes pour lesquelles Beauvoir a été un modèle, parfois une seconde mère : amies et femmes inconnues, bourgeoises et ouvrières, ménagères…

Inégalité domestique, inégalité salariale qui perdurent… La femme des années 1940 dépasse peu à peu et enfin sa condition d’objet et de matrice, pour s’ériger en sujet libre.

Dans la vie professionnelle comme dans la vie personnelle, la femme vit un compromis permanent entre résolutions féministes, condition et genre, entre revendications et réalité : un comportement docile à l’égard des hommes, des minauderies et réflexes ancrés. Or, sous cette surface lisse et socialement consensuelle, couve une insatisfaction profonde.

Ce sentiment d’inconfort et de tension est ce dont témoigne Lettre à une deuxième mère, avec Camille de Sablet, l’interprète féminine d’une actrice - théâtre dans le théâtre et jolie mise en abyme -, serveuse dans un bar pour boucler ses fins de mois, dubitative sur sa vie privée et artistique, et curieuse de s’adresser en fille à l’autrice du Deuxième Sexe, à la façon de Sylvie Le Bon de Beauvoir, la fille adoptive et gardienne de l’oeuvre de sa mère.

La jeune actrice qui doute excessivement d’elle-même et de ses capacités, mise à mal par une société pour le moins patriarcale et contraignante, admet qu’elle a choisi une voie - une situation - précaire. Elle sait qu’elle dépend de l’homme qu’elle aime pour résider à Paris, dans l’appartement de celui-ci. Cette réalité socio-économique pèse forcément sur des relations privilégiées d’amour vrai qu’elle voudrait voir libres, indépendantes, non perturbées.
Où se trouve le contrôle de soi, l’indépendance souhaitée où l’amour n’aurait rien à voir ?

Sur la scène, la comédienne irradie l’intérieur sombre de ce café fermé qu’illuminent encore des rayons entiers de bouteilles scintillantes sous les néons. Elle fait un retour sur elle-même, s’adresse au public et interpelle Simone de Beauvoir. Quelle était la relation de la philosophe à ce compagnon Sartre ? Comment vivait-elle sa liberté sincère, entre écarts et infidélités ?

Elle raconte la vie quotidienne d’une actrice, accumulant les rendez-vous pour le moindre casting - cinéma, télé, série, radio -, inondant les réseaux sociaux de ses appels et incitations, refusant finalement cette condition d’asservissement - attente du bon-vouloir des autres.

Or, Simone de Beauvoir surgit, incarnée comme par miracle par Louis Albertosi en ensemble pantalon blanc seyant, succédant au personnage de tenancier de troquet et adepte du vélo que l’actrice-serveuse honnissait de toutes ses forces : l’homme, le patron.

L’apparition merveilleuse prend appui sur la définition philosophique des mots qu’elle emploie, joueuse et facétieuse, énigmatique quant à ses réponses, mais attentive aussi à son interlocutrice en souffrance, l’aidant à trouver par elle-même sa voie aujourd’hui.

Un moment malicieux de belle exploration existentielle, entre réserve et colère sourde, et de vifs questionnements sur le métier de vivre, de l’autonomie ressaisie à la reconnaissance.

Lettre à une deuxième mère, écriture et mise en scène de Constance de Saint Rémy. Avec Camille de Sablet & Louis Albertosi. Création lumières Marine Flores, conseil musical Louis Albertosi, montage vidéo Louis Albertosi, Constance de Saint Remy. Du 9 au 19 mars 2023 20h30, relâche dimanche et lundi, à Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 2-4 square de l’Opéra Louis-Jouvet 75009 - Paris. Tél : 01 53 05 19 19 athenee-theatre.com

Crédit photo : Mathis Leroux.

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Véronique Hotte

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