Les Personnages de la pensée de Valère Novarina au Théâtre de la Colline - Théâtre national.

Retrouvailles heureuses du public avec une langue et des acteurs significatifs.

Les Personnages de la pensée de Valère Novarina au Théâtre de la Colline - Théâtre national.

Nous sommes dans les mots. Les mots sont, à la fois, la forêt où nous sommes perdus, notre errance et la manière que nous avons d’en sortir. Notre parole nous perd et nous guide. (Valère Novarina, « Chaos », Le Théâtre des paroles, P.O.L., 1989)

Les Personnages de la pensée sonnent les retrouvailles plutôt joyeuses du public avec l’univers de Valère Novarina, planète pittoresque et inclassable, surprenante autant que facétieuse. Les personnages caractéristiques au verbe haut incarnent la possibilité unique - le privilège -, que l’être possède de s’exprimer d’abord et de révéler aux autres comme à soi, cette musique intérieure qui donne vie et rythme à une existence à laquelle chacun est dévolu - incarnation de la pensée, un quant-à-soi qui donne de la respiration au temps.

La langue de Novarina, joueuse et serpentine, est habitée par le pouvoir du verbe, des phrases articulées, un sabir plutôt singulier - jeux de mots et manière ludique de tourner, renverser et tournebouler une affirmation initiale de sagesse et de raison bousculée qui finalement retombe sur ses deux pieds avec bonheur, pétillante d’une autre tournure qui redistribue les cartes.

Il y a un appel dans la parole humaine et une attente dans la pensée. Tout ce dont nous disons le mot manque. Penser, parler, n’est pas émettre des idées, les enchaîner, les dérouler - mais conduire toute la parole jusqu’au seuil et jusqu’à l’envers des mots. Il y a une pensée sous la pensée qui dit toujours : « Va jusqu’où les mots rebroussent chemin. » Aller à la lisière, franchir une rive, d’un seuil à l’autre, c’est le mouvement respiratoire profond, le pas, la marche, l’élan de notre esprit qui est esprit de traversée. (Valère Novarina, Devant la parole, P. O. L, 1999)

Pour lors, annonce est faite que l’homme n’a pas à être fier de son humanité - bagage prétendument inné qui ne serait qu’acquis, et en travail de ressaisie et de ré-appropriation.

La nouvelle création de l’auteur, metteur en scène et peintre fait toujours la part belle aux interprètes - fameux Personnages de la pensée -, griffe de création et marque de fabrique.
Les acteurs fidèles et les nouvelles voix sont des présences scéniques pour lesquelles ont été conçus un « parcours dynamique », des « sentiers tracés » tissant la musique du spectacle - refrains, rythme des coeurs qui battent, entre pulsation, battement et retournement.
Sans oublier les objets, les toiles de peinture, un tabouret, un chien …

Les actrices jouent leur partition à merveille : Valentine Catzéflis dispose d’une prestance altière, une narratrice qui explique et commente, proche du public. Liza Alegria Ndikita dans sa robe blanche a son mot à dire et ne laisse jamais passer son tour. Claire Sermonne en maîtresse de cérémonie a l’élégance impérieuse qui convient. Agnès Sourdillon ménage sa belle voix acidulée, engagée dans l’aventure avec foi et espérance. Valérie Vinci révèle une gouaille - recul comique irradiant l’espace d’une tonalité festive.

Quant aux acteurs, ils s’en donnent à coeur joie : Manuel Le Lièvre fait un numéro fulgurant d’humour inénarrable où il épingle scientifiques et professeurs en tout genre.

Sylvain Levitte ne cède pas sa place, jonglant avec les sons, les prénoms et les rimes - un répertoire malicieux le laissant étendu sur le dos, bras en croix. Nicolas Struve est fidèle à l’auteur, à la fois ahuri et pourtant juste et intense, toujours espiègle et inattendu. René Turquois s’intègre comme si de rien n’était, discret mais déterminé. Quant à Aurélien Fayet, sa stature et son air rappellent quelque chose de Daniel Znyck. Les musiciens Mathias Lévy au violon et Christian Paccoud à l’accordéon accordent à l’ensemble leur tonalité de tendre mélancolie, d’enthousiasme et de confiance en la vie.

Un spectacle novarinien pur jus - plaisir amusé de la vue, de l’écoute et du sens, saisis au vol.

Les Personnages de la pensée, texte (éditions P.O.L), peintures et mise en scène de Valère Novarina, avec Valentine Catzéflis, Aurélien Fayet, Manuel Le Lièvre, Sylvain Levitte, Liza Alegria Ndikita, Claire Sermonne, Agnès Sourdillon, Nicolas Struve, René Turquois, Valérie Vinci et les musiciens Mathias Lévy et Christian Paccoud. Musique Christian Paccoud, lumières Joël Hourbeigt, scénographie Emmanuel Clolus, dramaturgie Pascal Omhovère, Adélaïde Pralon et Isabelle Babin, costumes et maquillages Charlotte Villermet et Corentin Quesniaux. Du 7 au 26 novembre 2023, du mardi au samedi à 19h30, dimanche à 15h30, relâche le 12 novembre, à La Colline - Théâtre national -, 15 rue Malte-Brun 75020 - Paris. Tél : 01 44 62 52 52 et billetterie.colline.fr. Du 23 au 27 janvier 2024 au Théâtre National Populaire - Villeurbanne. Le 30 janvier 2024 à La Maison des Arts du Léman Thonon-Evian- Publier.


Crédit photo : Tuong-Vi Nguyen

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Véronique Hotte

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