Les Fâcheux de Molière par Julia de Gasquet
La comédie-ballet aux Fêtes Nocturnes du Château de Grignan
Les Fâcheux ont été joués dans le décor naturel de Vaux-le-Vicomte : ce jardin est transposé devant la façade du château de Grignan, dans une scénographie végétale où une allée d’oliviers et de cyprès surplombe un jardin à la française. Ce geste de réactivation s’appuie sur la connaissance des plans et des tracés d’André Le Nôtre, créateur des jardins de Vaux-le-Vicomte, l’exact espace idyllique où la première des comédies-ballets de Molière a été créée en 1661.
Ordonnancement de la nature et ordonnancement des corps et des esprits, s’impose la fantaisie ludique d’un jardin enchanté et fantastique - folie et équilibre. Les intermèdes musicaux et dansés sont évalués par Molière, Lully et Beauchamp - maître à danser du Roi Louis -, comme des extensions du jeu théâtral, une manière de prolonger, par d’autres moyens que le langage, le plaisir des yeux dans un décor bucolique de lumières et la réalité théâtrale d’un jeu amusé.
Subtile ambiance d’époque d’autant que l’art de la déclamation baroque - le souvenir lointain de cette diction caractéristique -, est porté par des acteurs rompus au travail de la langue, tenus sur le fil tels des oiseaux sautillants, qui composent en même temps, à côté de l’élégance avertie et souriante des danseurs Jeanne Baraston et Pierre-François Dollé, des figures joliment singulières.
L’étrangeté des déplacements dansés de ces silhouettes tient à l’impression qu’elles auraient été façonnées et sculptées de manière latérale, de biais, comme si leurs postures restaient penchées, corps et tête inclinés à travers les lents mouvements d’une progression spatiale précautionneuse.
Alexandre Michaud joue le Valet, personnage excentrique bien dessiné - angles aigus et pointus.
Les Fâcheux, en trois actes et trois intermèdes dansés, raconte l’histoire d’Éraste, jeune et galant marquis épris d’Orphise - Mélanie Traversier - dont l’oncle et tuteur refuse le mariage.
Quand Éraste tente d’obtenir un rendez-vous avec la belle, une série d’obstacles lui fait barrage : « fâcheux » et « fâcheuses », « enquiquineurs » et « enquiquineuses » viennent à lui, et empêchent ses retrouvailles amoureuses. L’oncle enfin provoque un éclat qui précipite l’union des amants.
Une pièce sur l’empêchement amoureux, quand Éraste se heurte à ces empêcheurs d’amour, qui le font tourner en rond, le contrariant systématiquement, faisant trébucher ses stratégies. Adrien Michaux dans le rôle de l’éconduit, malgré lui et à cause des autres, est absolument convaincant - voix posée et réfléchie, capable d’évaluer et de projeter en raisonnant et en argumentant toutes les situations possibles inimaginables, lassé, agacé et résistant aux incartades aléatoires du destin.
Un même acteur interprète la presque totalité des Fâcheux qui se succèdent et n’en finissent pas. Comme Molière à la création qui jouait tous ces intrus, Thomas Cousseau s’en donne à coeur joie, se démultipliant et persistant dans toutes ces figures burlesques de confrontation avec le héros.
Chapeaux à plumes ou aux bois de cerf, et autres fantaisies, les accoutrements sont éloquents.
L’acteur incarne non seulement l’oncle Damis, mais une galerie de portraits de Fâcheux pittoresques : l’Artiste, le Soldat, le Joueur de cartes, le Chasseur, le Savant - Caritidès qui demande à Eraste d’intervenir auprès du Roi pour réclamer un poste de contrôleur de l’orthographe française -, l’Economiste désargenté exige qu’il soutienne son projet : construire sur toutes les côtes de France des ports et des douanes pour renflouer les caisses vides de l’Etat.
Pour la metteuse en scène Julia de Gasquet, cette galerie de portraits d’originaux et d’originales - alors qu’elle-même joue une Fâcheuse -, qu’ils soient amateurs de jeu de cartes et de danse.. , restent d’abord des contemporains atemporels : pédants, prétentieux, savants, obsessionnels…
L’originalité est de faire rire avec des types nouveaux empruntés aux contemporains, sachant que la comédie-ballet appartient à son temps et que le trajet de la conceptrice est inverse, épinglant les contemporains d’un spectacle total historique - théâtre, musique et danse en coexistence.
Un spectacle lumineux de restitution minutieuse - la recréation des arts florissants d’une époque.
Les Fâcheux, comédie-ballet de Molière, comédie mêlée de danse et de musique, mise en scène de Julia de Gasquet, chorégraphie Pierre-François Dollé, dramaturgie Marie Bouhaïk-Gironès, direction musicale Anne Piéjus, scénographie Adeline Caron, création lumières Nathalie Perrier, costumes Julia Brochier. Avec les comédiens Thomas Cousseau, Julia de Gasquet, Adrien Michaux, Alexandre Michaud, Mélanie Traversier, et la voix de François Marthouret. Avec les danseurs Jehanne Baraston, Pierre-François Dollé alternant avec Akiko Veaux ( 6 août), avec les musiciens Lena Torre alternant avec Sumiko Hara (du 15 au 20 août), Julian Rincon, Danican Papasergio,
Du 20 juin au 20 août 2022 à 21h, aux Fêtes Nocturnes du Château de Grignan. Tél : 04 75 91 83 65, chateaux-ladrome.fr , Châteaux de la Drôme 23 rue montant au château 26230 -Grignan.
Crédit photo : Claire Matras
