Les Etrangers de Clément Bondu

Voyage initiatique d’une jeunesse en quête de sens

Les Etrangers de Clément Bondu

Adaptation par Clément Bondu de son roman, le spectacle Les Étrangers suit la quête de Paul, écrivain raté, sur les traces d’Ismaël, ami et poète mystérieusement disparu. De Paris à Berlin, de Naples à Moscou, de Sète à Tanger, ce voyage initiatique esquisse le portrait d’une jeunesse qui s’interroge sur sa place dans l’histoire dans le sentiment de ne pas appartenir vraiment au monde.
Les récits de Marianne, Aurore, Ida, Ismaël et Paul évoquent des moments passés partagés, dans lesquels les repères sont brouillés. Point de rencontre théâtral entre cinéma et littérature, la pièce polyphonique aimerait résonner comme un appel au pouvoir de l’imaginaire, à la force du langage.
L’auteur et metteur en scène Clément Bondu définit, quant au narrateur et personnage principal, un anti-héros du XXI è siècle, aux prises avec une sorte d’inquiétude et un besoin de sens dont, par ailleurs, il ne saurait que faire encore. Démuni dans ses projets d’écriture - il veut écrire un roman - , il quitte le sud de la France dans une quête absurde, à la fois burlesque et désespérée, retrouver les traces de son ami Ismaël - entre polar, récit d’aventures et registre tragi-comique.

Retrouver la voiture prêtée à Ismaël, abandonnée, comme convenu, sur un parking de gare, et la voir endommagée, vitres brisées, un petit mot laissé à l’attention du héros sur le tableau de bord. Des lettres, des petits mots, seront échangés, d’un personnage à l’autre, d’une scène à l’autre, d’une époque à l’autre - jolis vestiges, traces de l’écrit qui apparaissent aujourd’hui désuètes.
Un écran et des sur-titrages permettent de situer le temps et les lieux, mettant en scène le passage des années, la multiplicité des pays et des villes traversés : « Paris, 2012 » ou « Naples, 2016 ». Sur le plateau, deux espaces intérieurs, des chambres, où se jouent à distance des scènes d’amour issues du cinéma de Rohmer - enthousiasme juvénile et désir maladroit de vivre.

Mathieu Perotto est l’interprète radieux, narrateur et personnage de cet aller-retour dans le passé, circulant d’un temps à l’autre, rétroactivement, et sans chronologie, il fait part au public de ses aventures sensationnelles qui se distillent dans les propos et sur le plateau, puis s’évanouissent.

Entre grâce naïve et volonté « d’y arriver », il raconte son apprentissage sentimental : il y a Marianne, versée dans l’histoire de l’art, que l’on voit vivre avec le locuteur ; il y a Aurore, étudiante, à laquelle il donne la réplique pour la préparer au concours du Conservatoire qu’elle réussira.
Ida à Tanger est comédienne d’origine russe qui a tout abandonné de sa vie passée, pour vivre là.
Ismaël reste invisible, simplement évoqué lors de la jeunesse estudiantine du héros, initié par l’ami à fumer de l’herbe, et partageant les mêmes idéaux artistiques de jeunes gens en mal de création.

Ces personnages ont toujours imaginé le bonheur, d’une ville européenne attractive à l’autre, et plus loin, à Tanger, mais ne s’y sont jamais laissé aller vraiment, ils aimeraient bien y croire, et finalement peut-être, il y y accéderont un jour, non par hasard : une réussite forcée par la volonté.
Entretemps, des images de Tanger défilent à l’écran, et l’on voit, au volant de sa voiture, Antonin-Meyer Esquerré, une figure du jeune narrateur et romancier en herbe, en quête de l’ami disparu.

Un spectacle de petite musique rohmérienne dont le théâtre est un peu la portion congrue, les personnages ne s’exprimant et ne vivant que peu sur la scène, circulant et se déplaçant près du lointain, de jardin à cour, des silhouettes fugitives en mal d’incarnation dont les discours tiennent lieu d’être, hors de tout jeu scénique, effacées derrière la tyrannie du narrateur principal, qui lui-même n’interprète que rarement les instants choisis de sa jeunesse éclatée, en mal de stabilité.

Les figures féminines qui évoluent autour du narrateur-interprète déclament leur partition verbale, convaincues et persuasives. Assise sur une chaise, Marianne - Lisa Kramarz - parle au public, racontant l’expérience imprévue de la contemplation à Naples de La Flagellation du Christ du Caravage, perdant connaissance, ne distinguant ni la fiction de la réalité ni la peinture de la vie.
Aurore - Mona Chaïbi -, férue de théâtre, parlant arabe, est manifestement ouverte sur le monde. Debout, Ida - Vanessa Fonte - qui a vécu avec Ismaël, égraine ses certitudes acquises lors d’un chemin solitaire, et on la revoit à l’écran dans le film tourné à l’époque dans la ville marocaine.

Une fresque déjà un peu datée, ne concernant qu’un petit monde de jeunes gens relativement privilégiés et protégés, évoluant dans des cercles restreints, et que l’Histoire ne concerne que peu. Manque la fibre scénique du théâtre vibrant et vivant - le déploiement d’une énergie curieuse de l’universel et non du seul entre soi, trop crispé sur ses petits soucis d’accomplissement privé.

Les Etrangers, texte et mise en scène de Clément Bondu (roman publié aux édit. Allia), traduction du texte en arabe Nassedine Chekir, scénographie et costumes Charles Chauvet, musique originale Jean-Baptiste Cognet, création lumières Nicolas Galland, son et vidéo Mathieu Plantevin. Avec Mona Chaïbi, Vanessa Fonte, Lisa Kramarz, à l’image Antonin Meyer-Esquerré, Mathieu Perotto. Du 18 au 31 mars 2022, du lundi au vendredi 20h, mardi, jeudi, samedi 19h, relâche mercredi et dimanche, au TCI - Théâtre de la Cité internationale, 17 boulevard Jourdan 75014- Paris. Tél : 01 85 53 53 85 theatredelacite.com Le 24 mai 2022 CIRCA - Auch. Du 2 au 12 juin 2022, Les Célestins Théâtre de Lyon. Le 26 novembre L’Astrada Marciac.
Crédit photo : Dylan Piaser

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Véronique Hotte

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