A partir du 15 octobre 2025 Théâtre équestre Zingaro au Fort d’Aubervilliers.

Les Cantiques du Corbeau, texte, scénographie, conception et mise en scène Bartabas

Hommes et animaux, une convivialité à prendre en considération.

Les Cantiques du Corbeau, texte, scénographie, conception et mise en scène Bartabas

Au faîte ultime de la scène, sous un soleil resplendissant, à moins que ce ne soit la lune dans le firmament, une fillette aux longs cheveux sombres dans sa robe de dentelle blanche lit un livre de contes, se souvenant, à la place de l’auteur, d’un grand-père lui lisant des histoires de bêtes qui lui faisaient peur : le jeu des sourcils sur le visage du vieil homme était comparable à un vol de corbeaux aux longues ailes noires installés sur le front bien-aimé et ridé.

Aussi des masques traditionnels de bêtes hirsutes font-ils leur entrée silencieuse - cornes hautes ou roulées, têtes de satyres, faunes ou silènes, créatures hybrides légendaires au corps mi-humain mi-bouc, esprits de la nature - coiffes somptueuses des musiciens assis à leurs claviers et cloches.

Nous reverrons la petite fille au livre de contes rêvant auprès d’un bouc, redescendue comme par magie sur la piste, protégée par la bête silencieuse. Une Alice au Pays Des Merveilles, aux drôles de merveilles monstrueuses.

Nouvelle création du Théâtre Equestre Zingaro, à partir du récit Les Cantiques du corbeau, le spectacle de Bartabas diffère : les récitants officient en majesté - terme sacré d’une déclamation personnelle -, chacun des comédiens se tenant, stature haute, au-dessus d’un abîme de nuit indiscernable où quelques lumières ici et là laissent apparaître des ombres fugitives irrattrapables, des semblants de rêves ou de songes évanescents.

Aussi les chevaux s’imposent-ils au regard à la manière des apparitions, des visions fantasmagoriques. On aimerait faire « arrêt sur pause » pour les images, s’en saisir, mais elles échappent toujours - des chimères, étoiles de feu ou lumière blanche d’un galop ; quelques chevaux circulent à belle allure, crinière au vent autour de l’arène, suite de cavaliers de squelettes cliquetants. Danse balinaise aux costumes et aux coiffes colorées, cavalière debout et en équilibre sur sa monture enthousiaste… Beauté plastique.
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A la musique, le groupe Pantcha Indra, un gamelan balinais au répertoire balinais et javanais - ensemble instrumental traditionnel indonésien de musique rituelle et percussive. Neuf musiciens et maitres de cette tradition musicale percussive font résonner sonorités et récit. L’orchestre balinais - le gong-, use des percussions en bronze ou en fer (gongs, instruments à lames) et tambours, et le xylophone, la flûte, la vielle, la cithare, une « masse sonore » qui fait front au récitant. Une atmosphère de chamanisme sourd.

S’accomplit le récit fantasmatique sur les origines de l’humanité « préhistoire rêvée où hommes et bêtes ne font qu’un, méditation poétique sur la place de l’homme parmi les vivants ». La relation profonde de l’homme avec l’animal et l’engagement face à l’acte sacré de la cérémonie théâtrale est la signature de Zingaro. Les Cantiques du corbeau, une suite de vingt-deux chants, est une fantasmagorie des origines de l’humanité, une genèse re-visitée, de brèves vies racontées animales ou humaines, des autobiographies d’un protagoniste énigmatique qui témoigne du commencement du monde et de sa création.

Louves, fauves, hyènes cerfs …, les relations de pouvoir immédiates sont celles de la violence, de la cruauté et de l’effroi : le plus fort - le plus sauvage et le plus entêté - se régale du faible et du fragile, victime dont le sang est versé. C’est la vie qui se nourrit de la mort, et si même le néant sort gagnant de l’affrontement, la force de vie - énergie et mouvements - ressurgit encore de la mort de l’un ou de l’autre, ailleurs autrement rejoignant encore le vivant.

Les récitants font leurs aveux successifs, alimentant le récit fantasmatique sur les origines de l’humanité, « préhistoire rêvée où hommes et bêtes ne font qu’un, méditation poétique sur la place de l’homme parmi les vivants »

« Enfant déjà, j’étais attiré par la beauté furtive des créatures sauvages. J’ai vite compris que jamais je ne pourrais rivaliser avec elles par la vitesse, la puissance et la noblesse. J’enviais leur existence sans partage. Parce que je ne voulais pas les combattre, que ce soit pour m’en défendre ou pour me nourrir, j’ai été banni de ma tribu. Je vivais solitaire, me nourrissant de plantes et de fruits, scrutant les bêtes pendant que la terre accouchait des saisons. Les faire entrer dans ma mémoire était une façon de les apprivoiser… » Empreinte (15 ème Chant).

Un spectacle exigeant qui porte attention à l’écoute du verbe, des mots, de la parole et des récits humains, nécessaires au voyage imaginaire intérieur existentiel, à contre-courant de la suprématie totalitaire des images faciles.

Les Cantiques du Corbeau, texte (édit. Gallimard, 2022) scénographie, conception et mise en scène Bartabas, assistante à la mise en scène Emmanuelle Santini, avec la troupe, les musiciens de Pantcha Indra, Thomas Garcia, Audran Le Guillou, Philippe Martins, François Marillier, Théo Mérigeau, Christophe Moure, Laetitia Schneider, Hsiao-Yun Tseng, musicien invité Sunarso, artistes du théâtre Zingaro Bartabas, Henri Carballido, Jean-Luc Debattice, Lucie Drouin-Meslé, Lola Eliakim, Alice James, Manolo Marty, Perrine Mechekour, Sarah Mordy, Julie Moulier, Florent Mousset, Paco Portero, Alice Seghier, Nessim Vidal, danse balinaise Kadek Puspasari, feu Lara Castiglioni, chevaux Famine, Guerre, Misère, Maestro, Tsar, Zurbaran, Bruant, Chouca, Hypolaïs et Ibis. A partir du 15 octobre 2025, Théâtre Equestre Zingaro au Fort d’Aubervilliers. Tél : 01 48 39 54 17, zingaro.fr

Crédit photo : Sacha Goldberger

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Véronique Hotte

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