Le quatrième mur d’après le roman de Sorj Chalandon

Une des étapes phares des "Traversées du monde arabe" à l’affiche du Tarmac

Le quatrième mur d'après le roman de Sorj Chalandon

Le quatrième mur est la ligne de démarcation imaginaire qui au théâtre sépare la scène de la salle, la frontière entre la fiction et réalité. C’est le rêve insensé et magnifique d’un metteur en scène que la guerre fracasse dans le roman de Sorj Chalandon, écrivain, journaliste, grand reporter qui fut, pour le journal Libération, un des premiers témoins du massacre des palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila. Une expérience qui ne laisse pas indemne et lui inspira Le Quatrième mur couronné en 2013 par le Goncourt des lycéens. Une histoire d’amitié et de théâtre qui nous propulse au cœur de la guerre civile qui déchira le Liban (1975 – 1990).

« Tu vas monter « Antigone », tes personnages t’attendent, ils sont prêts » lui avait enjoint Samuel juif de Salonique, homme de théâtre qui avait fui la Grèce des Colonels. Gravement malade, cloué sur son lit d’hôpital, il demandait à Georges, son ami, ancien militant pro-palestinien et « petit théâtreux de patronage » de réaliser son rêve de mettre en scène à Beyrouth Antigone de Jean Anouilh avec des acteurs issus des différentes factions ennemies, palestiniens, druzes, maronites, sunnites, chiites, de les réunir pour « une trêve poétique » sur le même plateau autour « de la petite maigre assise là-bas » comme Anouilh présente son Antigone.

Approche documentaire et perspective poétique

Pour Georges il n’est pas question de se dérober au devoir de l’amitié. Pièce en poche et muni de la feuille de route de Sam, son ami, son frère, des rêves de fraternité plein la tête, il arrive dans un pays où tout y est haine dévastatrice, loi du talion, où la réalité brute contrecarre sans cesse l’utopie. Accompagné de Marwan, son chauffeur druse qui ne comprend pas ce que le théâtre peut faire contre la guerre, mais l’aidera néanmoins à passer les lignes de démarcations, Georges devra sillonner le pays entre les rafales, faire tomber les résistances, convaincre les uns et les autres. Tous les acteurs pressentis finiront par accepter et à l’occasion d’une première lecture en commun, déposant leur brassard d’appartenance, à travers le masque de leur personnage, chacun des comédiens brosse un des visages du Liban. Une brève trêve fraternelle, « un éclat de poésie » que le massacre de Sabra et Chatila fera sans lendemain.

Porter à la scène ce magnifique et bouleversant feuilleté d’âme et de fracas, de rêve humaniste et de barbarie qu’est le roman de Sorj Chalandon relève d’une gageure. Un pari que gagne avec intelligence et doigté le metteur en scène Julien Bouffier, pour qui « le voyage initiatique » de Georges devient celui d’une jeune femme (Vanessa Liautey). A sa suite et sur les traces de l’auteur, Julien Bouffier nous emmène dans le Beyrouth d’aujourd’hui où quelques immeubles encore « en dentelles de guerre », dévoilent les anciennes blessures. Enlaçant, comme on met en fusion, le théâtre et le cinéma, l’approche documentaire et la fiction , distribution libanaise et distribution française, la force des images et les sonorités obsédantes et déchirées de la musique (Alex Jacob ) le spectacle se tient au plus près de la vérité de l’écriture de l’auteur et pointe cette brûlante question : Quel sens peut avoir le théâtre, et l’art en général, quand tout s’effondre autour de nous ?
Vu au Théâtre Jean Vilar de Vitry, le spectacle sera du 1er au 4 mars à l’affiche du Tarmac dans le cadre des Traversées du monde arabe (21 février-31 mars).

Traversées du Monde arabe

La manifestation s’inscrit dans des « traversées » plurielles et singulières dont le carburant est, « de donner à voir le renouvellement des formes par le brassage et le métissage des idées et des propositions artistiques », en braquant les projecteurs sur diversité de la géographie francophone. Après l’Afrique subsaharienne l’année dernière, le Tarmac nous embarque cette saison du côté du Maghreb et met l’accent sur Moyen-Orient syro-libanais. Ce côté de la Méditerranée où le français reste la langue étrangère la plus répandue et avec lequel quelque 13 millions de français, toutes religions confondues, ont une partie de leur histoire. « Outre les liens forts et complexes qui nous relient à ces pays », pour Valérie Baran, directrice du Tarmac, nous proposer aujourd’hui de traverser le monde arabe , c’est prendre à revers l’humeur « de nos sombres temps où le monde arabe est le plus souvent perçu, à tort, par certains comme une menace ». C’est une invitation « à dépasser nos propres limites et nos projections fantasmées » que nous propose le Tarmac en mettant à l’affiche des spectacles d’artistes qui jouent à saute frontières et mêlent les horizons.

C’est, notamment, Marc-Antoine Cyr , auteur québécois en résidence au Liban qui écrit une pièce qui a pour cadre une auberge improbable plantée sur la corniche de Beyrouth dans laquelle « l’intimité des hommes côtoie la destinée d’un peuple » (Les paratonnerres), ou encore le roumain Matéi Visniec et un collectif d’artistes libanais qui autour du Job de la Bible, ont concocté un spectacle qui mixe, danse, marionnettes, théâtre d’ombres, musique pour mieux mettre en lumière sa révolte et son insoumission ( Paysages de nos larmes). Insoumis et rebelle, tel fut l’écrivain marocain Mohammed Khair-Eddine (1941-1995), « une des voix les plus originales du Maghreb » comme le qualifiait Tahar Ben Jelloun et que le Tarmac a choisi de nous faire réentendre avec Le Déterreur l’âpre et furieux récit d’un condamné à mort au fond de sa cellule. Un texte zébré de douleur et de fureur et qui dans un verbe incandescent fustige toutes les figures de l’autorité.

C’est au total 10 spectacles de théâtre, musique et danse que nous propose cette nouvelle édition des Traversées qui fait une large place aux femmes, à leur condition, leur rôle, leur combat émancipateur et qui pour commencer nous invite à monter à l’arrière d’un camion stationné place de la Réunion dans le XXème arrondissement, pour y rencontrer une petite fille venue de Syrie, peut-être d’ailleurs. Dans l’urgence elle a juste pris son doudou et deux petits sacs et s’est retrouvée avec sa maman dans un camion emportée vers d’autres jeux, vers une autre destinée. Kamyon , écrit et réalisé par l’écrivain journaliste belge Michael De Cock à partir de témoignages de familles de réfugiés, est une bouleversante et déchirante histoire d’errance vécue à hauteur de l’enfance.
Outre les débats et rencontres avec les artistes, ces Traversées du monde arabe s’accompagnent d’une importante exposition de photos, Pas si loin, la Syrie , qui à travers l’intimité des habitants nous montrent la vie quotidienne dans la société syrienne en guerre. Une manière en somme de nous inviter à cheminer en ouvrant aussi les yeux.

Le Quatrième mur d’après le roman de Sorj Chalandon. Adaptation et mise en scène : Julien Bouffier avec en scène : Diamand Abou Abboud, Nina Bouffier, Alex Jacob, Vanessa Liautey. A l’image : Raymons Hosni, Yara Bou Nassar, Joyce Jaoude, Mhamad Hjeij, Elie Youssef, Joseph Zeitouny. Musique : Alex Jacob. Vidéo Laurent Rojol, ( Durée 1h30)
En tournée  : CDN de Montpellier les 24 et 25 février, Le Tarmac du 1er au 4 mars, Théâtre du Vésinet 7 mars, Saint-Quentin- en- Yvelines 29 et 30 mars

Traversées du monde arabe
Le Tarmac du 21 février au 31 mars tel 01 43 64 80 80 / www. letarmac.fr

Photos « Le Quatrième mur » ©Marc Ginot , « Kamyon ©C Stefdepover, « Paysage de nos larmes » ©Eric Deniaud.

A propos de l'auteur
Dominique Darzacq
Dominique Darzacq

Journaliste, critique a collaboré notamment à France Inter, Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, TFI. En free lance a collaboré et collabore à divers revues et publications : notamment, Le Journal du Théâtre, Itinéraire, Théâtre Aujourd’hui....

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