Le Petit Coiffeur de Jean-Philippe Daguerre
La tondeuse d’infamie
La photo de Robert Capa « La tondue de Chartres » portant son bébé de trois mois dans les bras est à l’origine du spectacle écrit et mis en scène par Jean-Philippe Daguerre. Nous sommes dans le droit fil d’Adieu Monsieur Haffmann, spectacle très réussi (voir la critique de Gilles Costaz sur webtheatre.com, reprise au Théâtre de l’Oeuvre). L’histoire se déroule à la même époque tragique de la Seconde Guerre mondiale, au moment de la Libération, quand poussés par un désir de vengeance, certains ont fait la chasse à ces sorcières qui avaient eu des Allemands pour amants, les ont insultées, lynchées, parfois assassinées.
Dans un décor naturaliste, la multiplicité des aires de jeu dans un espace assez réduit, contribue au rythme du spectacle et à sa tension : salon de coiffure ou salle à manger dans leur jus, atelier de peintre suggéré, prison, etc. On découvre la famille du petit coiffeur qui a pris la succession de son père mort dans un camp de travail à la suite d’une dénonciation tandis que sa mère Marie dirige le salon-femme. Mais Pierre, le petit coiffeur est d’abord un artiste qui peint les femmes envoyées par sa mère qui joue les rabatteuses dans son salon pour son fils adoré. Et puis il y a le petit frère, pas tout à fait fini, le communiste pur et dur, parfois très dur, amoureux de Marie, héroïne de la Résistance, et enfin Lise, le modèle du peintre par qui le scandale arrive.
Daguerre mène rudement bien sa barque ; il met en place les éléments du drame sous des airs faussement bon enfant qui pourrait laisser penser que cette histoire terrible trouvera une fin heureuse et que finalement on n’apprendra pas grand-chose. C’est là toute l’habileté de l’auteur qui surprend le spectateur par le tour que prend l’histoire et par la réflexion qui s’en dégage, hors des sentiers battus. A travers les prises de position de chacun des personnages, l’auteur montre simplement et avec efficacité combien les certitudes et les jugements hâtifs sont assassins, combien les ressorts humains sont complexes et combien il est impératif d’analyser une situation et d’en mesurer la complexité avant de conclure à l’indignité et à la peine de mort. C’est joué avec cœur et talent. Brigitte Faure est une Marie attachante, aussi forte en gueule qu’elle est affectueuse, aussi grave que pleine de fantaisie ; elle est le moteur du spectacle car c’est elle qui recadre les dérives de Léon, son amoureux de communiste toujours prêt à venger aveuglément et régler des comptes mal évalués. Romain Lagarde dans le rôle de Léon est borné et bourru à souhait mais finalement l’ours reprendra figure humaine. Elle protège ses enfants Pierre et Jean. Arnaud Dupont est Jean, formidable de sensibilité. Il traduit joliment le tempérament gentiment décalé du personnage qui jouera un rôle clé sans qu’on ne sache jamais si c’est à son insu. Felix Beauperin interprète le malheureux et doux Pierre qui ne se remettra pas d’avoir, malgré lui, tenu la tondeuse d’infamie. Et enfin Charlotte Maznef, que l’on a pu apprécier dans Adieu Monsieur Haffmann, exprime parfaitement l’ambiguïté du personnage de Lise, tout en blondeur, qui s’emploie en vain à enfouir une faute grave et suscite la vindicte populaire. Lise a eu une liaison avec un officier allemand, mais cela signifie-t-il qu’il était un nazi et elle une collabo ? A travers son cas banal, Daguerre pointe notre propension à juger autrui à l’emporte-pièce et à désigner des boucs émissaires au nom de la justice. Mais quelle justice ? Un spectacle intelligent et sensible, tragique et drôle, qui évite avec subtilité les pièges tendus par le sujet même.
Le petit coiffeur, texte et mise en scène de Jean-Philippe Daguerre. Avec Felix Beauperin, Arnaud Dupont, Brigitte Faure, Romain Lagarde, Charlotte Maznef. Décor, Juliette Azzorpardi ; costumes, Alain Balnchot ; lumières Moïse Hill. A Avignon, au théâtre Actuel à 18h55. Durée : 1h25.
© Fabienne Rappeneau