Le Nid de cendres de Simon Falguières
Le théâtre comme espace de survie en temps de déroute
Simon Falguières, la trentaine passée, écrit ses premières pièces alors qu’il est ado. A sa majorité, il part à Paris, se forme au conservatoire et, avec plusieurs étudiants, rejoint un collectif, sa compagnie actuelle, Le K, implantée en Normandie depuis 2009 : déjà une dizaine de spectacles.
Acteur, auteur, metteur en scène, chef de troupe, l’homme de théâtre s’estime fils de la décentralisation et du Festival d’Avignon. Il a suivi dans toutes ses tournées son père metteur en scène et directeur du Théâtre d’Evreux. Le Nid de Cendres est à l’image de ses multiples facettes et de sa capacité tenace d’invention - univers, personnages, situation de drames pathétiques actuels.
Aujourd’hui, il relève un défi propre à quelques intrépides, le spectacle fleuve. Soit treize heures de théâtre interprétées par dix-sept comédiens aux soixante personnages et deux cents costumes.
À la fois, conte merveilleux et épopée fantastique, Le Nid de Cendres est constitué de sept pièces qui se succèdent dans un suspens vivace maintenant les spectateurs en alerte et en attente.
Avec la présence du diable - personnage facétieux et redoutable - que se plaît à interpréter Mathias Zakhar. On aimerait dire, tel les enfants à Guignol : « Attention ! Voilà le méchant ! »
Temps élisabéthain et magie shakespearienne, les époques s’entrechoquent et se répondent. Dans l’espace onirique du conte, la reine du royaume meurt d’ennui. Face à ce malheur, le roi - excellent John Arnold, l’Ancien - perd à son tour la raison. Délirant, il rêve d’un homme vivant dans un monde parallèle au leur, capable de ramener sa femme à la vie : il est pris au mot par le destin.
Sa fille, la princesse Anne, indocile et téméraire, enrôle des amazones courageuses, à l’égal ou « supérieures » aux hommes, pour l’accompagner dans sa quête : prendre la mer et trouver le « sauveur » qui réveillerait sa mère. Refaire un monde neuf sur les débris de cendres de l’ancien.
Ce monde parallèle est saisi cinq siècles plus tard ou dans des temps plus incertains - les nôtres -, selon l’histoire de Gabriel, nourrisson abandonné et recueilli par une troupe de comédiens. L’ange grandit ainsi dans le désordre et la joie, miné par une vocation - construire un théâtre vivant.
Anne, née en période élisabéthaine, est capable d’aimer Gabriel, jeune homme de notre contemporanéité déliquescente - guerres des hommes entre eux, destruction des villes asservies. Les parents de Gabriel souffrent d’un monde économique dévastateur, incapable de protection.
Pourtant, des scènes d’amour, de naissance et de mort succèdent à des situations de conflits privés et professionnels, et des assemblées royales de portraits de Cour en pied alternent avec des scènes de répétition de théâtre.
On retrouve le Roi en chef de troupe, entouré de comédiens enthousiastes et ardents. Nous ne citons pas la liste trop longue de la troupe des jeunes comédiens : ils sont sincères et vrais, dévolus à la scène et au bien-être existentiel, attentifs les uns aux autres, profondément humains.
Scènes de drame - amour, agacement, quête de pouvoir -, les êtres se montrent tels qu’ils sont.
Péripéties et rêves, les univers s’entrecroisent, du royaume de la princesse Anne - courtisans et courtisanes portant robes et vêtements d’apparat - avec le monde familier et actuel de Gabriel.
Les deux jeunes gens s’aiment sans se connaître, vivant une odyssée qui travaille à ce qu’ils se retrouvent pour sauver deux mondes en peine. Genres mêlés : farce, tragédie, comédie et conte.
« La promesse existe et c’est déjà beaucoup. Je te vois en rêve, Anne ! Je t’entends ! Je viens à toi. Quel chemin prendre pour ne pas se perdre ? »
L’épopée de Simon Falguières, tels les contes fantastiques qu’on n’oserait plus inventer par paresse, orchestre à lui seul la rencontre de deux univers perdus et près de disparaître - rêve et réalité. La réunion de ceux qui s’aiment au-delà du possible pourrait réparer ces mondes en ruine.
Ferveur, ténacité, élan et emportement, souffle et inspiration, les interprètes sont là, puissants. Un bonheur de spectacle comme il n’en existe plus guère dans nos temps d’incertitude et de repli.
Le Nid de cendres, texte (Actes Sud-Papiers ) et mise en scène de Simon Falguières, dramaturgie de Julie Peigné, scénographie Emmanuel Clolus, lumière Léandre Gans, son Valentin Portron, costumes Lucile Charvet, Clotilde Lerendu, accessoires Alice Delarue. Avec John Arnold, Antonin Chalon, Mathilde Charbonneaux, Camille Constantin Da Silva, Frédéric Dockès, Élise Douyère, Anne Duverneuil, Charlie Fabert, Simon Falguières, Charly Fournier, Victoire Goupil, Pia Lagrange, Lorenzo Lefebvre, Charlaine Nezan, Stanislas Perrin, Manon Rey, Mathias Zakhar. Les 9, 10, 12, 13, 15 et 16 juillet à 11h à la Fabrica.
Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage