Du 25 février au 1er mars 2025 au Théâtre de La Manufacture à Nancy et en tournée.
Le Menteur de Corneille par Julia Vidit.
Si le mensonge est un pouvoir, la vérité est un contre-pouvoir.

Julia Vidit, directrice du Théâtre de La Manufacture - CDN Nancy Lorraine -, a mis en scène Le Menteur en 2017, spectacle dont la tournée a été arrêtée par la crise sanitaire et dont la reprise est en cours. Or, dit la conceptrice, Corneille écrit Le Menteur en 1643, loin d’imaginer qu’en 2025, « l’interaction entre la politique et les médias provoquerait une si grande confusion, ne réussissant plus à démêler collectivement le vrai du faux ; temps de l’ultra-communication, de la crise de la représentativité et de la démocratie ».
Et quand, dans nos jours immédiats et de par le monde, accèdent au pouvoir les tyrans les plus menteurs et les plus fourbes, le mensonge se vérifie certes un pouvoir face à l’aveuglement de certains et de beaucoup, mais la vérité serait alors un contre-pouvoir.
Par ailleurs, la fiction littéraire dit le vrai par le détour du mensonge produisant ce « mentir vrai de la littérature » dont parle Jorge Semprun (L’Ecriture ou la vie, cité par le Dictionnaire culturel de la langue française, Le Robert). Selon un regard moral, un regard politique ou artistique, la vertu du mensonge dépend des intentions qu’il suppose et des fins qu’on lui assigne. Mentir peut servir à manipuler des foules ou à causer du tort, mais parfois encore à créer l’illusion qui fait voir une vérité derrière les apparences.
Après avoir écrit Le Cid, Corneille écrit une dernière comédie, autobiographique, Le Menteur, et met en scène Dorante, un jeune homme qui s’invente une vie pour prendre place dans un monde où les apparences font loi. Dorante entraîne son entourage au cœur d’une intrigue où chacun doit se mettre face à son propre masque. Mis à nu, les personnages se révèlent multiples et complexes, prisonniers des mœurs de leur siècle, des miroirs qu’on leur tend dans une galerie de glaces qui n’est qu’enfermement.
« Quoi ? Même en disant vrai vous mentiez en effet ? » (v.1628). Le faux héros par sa parole inventive, réorganise le réel. En remplaçant le monde de la réalité par celui de la feinte, l’auteur révèle l’art du théâtre. Dorante ment pour devenir un noble parisien, se créer un personnage et des exploits tel un héros galant. Il ment en toute sincérité pour d’abord paraître.
La pièce est une comédie, un divertissement. A la tentation d’une vie bourgeoise, Dorante préfère celle d’une vie plus exaltante, riche d’aventures et de noblesse. Du cadre bourgeois de la comédie, il voudrait passer au cadre plus noble de la tragédie. L’enthousiasme juvénile le pousse à devenir ce qu’il rêve d’être, et l’épée ne serait pas une arme mais une parure de mode, moins encore l’instrument de l’héroïsme que l’accessoire indispensable de la galanterie, faisant le paon devant Cliton. (Préface du Menteur de Corneille par Jean Serroy, Folio théâtre 64, Gallimard, 2000).
A partir d’une boîte, un dispositif en miroirs, scintille la période baroque, la folie des formes multiples : une mise en lumière des réflexions sur la partialité de l’image, de l’être et du paraître : une boule à facettes emporte joyeusement les spectateurs vers des interrogations contemporaines -« la place de l’écran, la place des femmes, mais aussi la place de la langue ».
Les jeunes acteurs enthousiastes, si ce n’est Géronte, interprété par l’excellent Jacques Pieiller qui reprend la plainte magnifique de Don Diègue face à ce qui pourrait être une trahison filiale (Le Cid), sont tous terriblement engagés dans leur temps et le théâtre - jogging coloré et training glamour, vivacité et énergie alertes et spontanées dans les répliques verbales comme dans les réparties gestuelles : ils investissent la scène de leur goût de vivre.
Grégoire Lagrange pour Dorante et Mégane Ferrat pour Cliton composent un duo comique efficace, jeunes gens qui s’opposent mais se retrouvent. Les mensonges du diseur valent illusion et fiction : éblouissement verbal et invention de fêtes somptueuses et de rencontres rêvées. Et Adil Laboudi pour Alcippe, et Joris Avodo pour Philiste tiennent pareillement à « leur vérité ».
De leur côté, les femmes ne s’en laissent pas conter, non dupes des galanteries servies, d’autant que court pour le galant un quiproquo entre Clarice et Lucrèce, prises l’une pour l’autre. Or, elles ne veulent plus être ni la fille de leur père ni la composition florale d’un époux à venir. Aurore Déon ou Clarisse Lhoni-Botte en alternance, Karine Pédurand ou Hélène N’Suka en alternance, usent d’esprit et de facéties pour ne pas se laisser « prendre ». Marion Duphil - Isabelle, la suivante de Clarice - témoigne d’une sage et belle clairvoyance.
La forme baroque crée une mise en abyme, un miroir vertigineux de regards - théâtre dans le théâtre. A l’honneur, l’imaginaire et l’invention car mentir fait exister. Une pluie de mensonges dans la bonne humeur - fiction, apparence et vérité.
Le Menteur de Corneille, adaptation Julia Vidit et Guillaume Cayet, mise en scène Julia Vidit. Avec Grégoire Lagrange, Mégane Ferrat, Aurore Déon ou Clarisse Lhoni-Botte en alternance, Karine Pédurand ou Hélène N’Suka en alternance, Jacques Pieiller, Adil Laboudi, Joris Avodo, Marion Duphil. Dramaturgie et écriture Guillaume Cayet, scénographie Thibaut Fack, lumière Nathalie Perrier, son Bernard Valléry et Martin Poncet, costume Valérie Ranchoux-Carta, maquillage, perruque
Catherine Saint-Sever. Du 25 février au 1er mars, Théâtre de la Manufacture à Nancy (Meurthe-et-Moselle). Du 26 au 28 mars, Théâtre national de Nice (Alpes-Maritimes). Du 13 au 16 mai, Théâtre Olympia, CDN de Tours (Indre-et-Loire). Du 4 au 6 juin, Théâtre de Bourg-en-Bresse (Ain).



