Le Coeur au bord des lèvres, Asmahan/variation par Dea Liane.

Réincarnation de l’énigmatique et sublime artiste Asmahan au Caire.

Le Coeur au bord des lèvres, Asmahan/variation par Dea Liane.

En 2021, Célie Pauthe, directrice du CDN Besançon Franche-Comté, offre à la comédienne Dea Liane de créer une carte blanche autour d’Asmahan, artiste découverte à l’occasion d’Antoine et Cléopâtre. Asmahan (1912-1944) - Amal El Atrache -, chanteuse et actrice syro-égyptienne, sœur de Farid El Atrache - auteur-compositeur-interprète, virtuose de l’oud et acteur, a fait carrière au Caire, ville d’élection favorable aux arts, en ces temps-là - cinéma, musique, vie des cabarets. Disparue énigmatiquement dans un accident de la route, il ne reste que l’aura de ses chansons, deux films en noir et blanc, des photographies, des témoignages déformés, des récits romancés.

Les recherches de Dea Liane la mènent en Syrie où elle est née, au Liban où elle a vécu : un arbre généalogique similaire à Asmahan. Son arrière grand-oncle a sauvé la tête de deux cousins d’Asmahan pendant une rébellion des Druzes contre le pouvoir ottoman. Dans les années 1920 et 1930, la famille Liane était une des rares familles chrétiennes à avoir la protection et l’amitié des El Atrache. La grand-mère de Dea avait exactement le même âge qu’Amal El Atrache, elles se sont probablement croisées dans les rues de Damas, quand l’une et l’autre étaient de jeunes mariées.

Asmahan est devenue un mythe dans le monde arabe. Son visage apparaît à la télévision tunisienne, dans des performances d’artistes égyptiens, dans un roman graphique libanais. Un producteur américain d’origine syrienne envoie même à Dea Liane le scénario d’un biopic.

Asmahan est une figure de nostalgie, un monde où l’espoir était permis - l’Âge d’or du monde arabe, des cabarets du Caire, ville où les jeunes aspirants artistes tentaient leur chance, à l’heure des centaines de comédies musicales produites en Egypte. Le culte d’Asmahan a résisté à l’extinction de ce monde : Dea Liane a décidé d’écrire depuis ce vide énigmatique, cette disparition. Avec Simon Sieger, elle invoque le fantôme et dialogue avec l’icône.

Le spectacle est en forme de « fausse vraie interview », comme si Asmahan avait accepté de répondre aux questions d’un journaliste, quelques jours avant sa mort, en juillet 1944. Un ami, peut-être Mohammed Tabe’i, le journaliste admiratif qui écrivit sa première biographie.

Comme le musicien arabe varie pour atteindre une grâce, Dea Liane, autrice, actrice, musicienne et chanteuse, fait du Coeur au bord des lèvres une variation autour d’Asmahan et de sa parole imaginée. Asmahan est la figure d’un monde où la foi en l’avenir avait sa raison d’être, avant les guerres successives dans cette région et jusqu’à l’explosion du port de Beyrouth en 2020.

Lamia Ziadé, auteure, entre autres, de Ma très grande mélancolie arabe (Paris, P.O.L,2017) rend compte à merveille de ce sentiment d’un paradis perdu, d’une vie autre à venir qui n’est jamais advenue, entre les destructions urbaines, alternant avec les reconstructions, les re-destructions :
« C’est un cimetière au soleil, il descend doucement vers la mer, à la pointe de Tyr, entre deux champs de vestiges antiques. Un cimetière où poussent en anarchie figuiers, lauriers… Y fleurissent littéralement des tombes de martyrs tombés au combat ou celles de familles entières fauchées sous les bombardements israéliens. C’est un cimetière paradisiaque gai, joyeux, enrubanné. L’inconnu t’a affirmé : « Si vous aimez la mélancolie des cimetières, vous n’êtes pas sortie de l’auberge. » Il ne pensait pas si bien dire. Ton voyage dans le deuil et la destruction ne fait que commencer. Il va être funèbre et merveilleux. Tu entres dans l’histoire du Proche-Orient. »

Dans les traditions musicales de l’Islam, le musicien-chanteur est pris d’une émotion qui saisit son auditoire - le tarab -, une gamme émotive étendue à l’écoute de la musique - délectation, extase L’artiste Asmahan savait intuitivement ajouter sa griffe à la tradition - improvisation et variation.

Simon Sieger, interviewer, ami, amant, pianiste, accordéoniste et instrumentiste à vent, se met pleinement au service de la splendeur vocale d’une dame mystérieuse qui ne livre pas ses secrets.

Le Coeur au bord des lèvres, Asmahan/ Variation est un spectacle nuancé et délicat, jouant de la nostalgie des images de films en noir et blanc, de belles chansons mélancoliques interprétées par Dea Liane, également la narratrice de l’histoire - robe et petite voilette noire qui cache le visage. Les chansons sont traduites à l’écran de l’arabe égyptien. En tenue de ville ou en robe d’apparat scintillante, l’élégante porte chignon avec bandeau blanc et lunettes noires de star - le reflet universel réinventé de toutes les femmes qui défendent envers et contre tout leur liberté d’aimer.

Le coeur au bord des lèvres, Asmahan / variation, un spectacle de Dea Liane. Texte et mise en scène de Dea Liane, composition musicale / arrangements Simon Sieger collaboration artistique de Célie Pauthe, création vidéo François Weber, création lumières Sébastien Lemarchand, scénographie Salma Bordes et Marianne Tricot, costumes Anaïs Romand, traduction en arabe égyptien et voix du journaliste Georges Daaboul. Création du 31 janvier au 3 février au CDN Besançon Franche-Comté. Du 9 au 22 février 2023 à Athénée Théâtre Louis-Jouvet 75009 - Paris. Les 2 et 3 mars 2023 à Châteauvallon-Liberté, scène nationale de Toulon. En octobre 2023, à La Comédie de Caen CDN de Normandie.
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez.

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Véronique Hotte

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