Le 5 juillet 18h, les 7, 8, 9, 10 et 11, 12, 14, 15, 16 juillet 17h à l’Opéra Grand Avignon.
Le Canard sauvage d’Henrik Ibsen par Thomas Ostermeier (Schaubühne, Berlin).
Que vaut la vérité dans le monde des apparences ? Pas grand-chose.

Le Canard sauvage d’Henrik Ibsen offre un terrain de jeu à Thomas Ostermeier, figure de la scène européenne et directeur de la Schaubühne depuis 1999. Mû par une implacable lucidité, son théâtre fouille le passé refoulé de la bourgeoisie pour en dévoiler les spectres qui hantent le présent.
La pièce se penche sur la famille, l’intimité, les non-dits, ceux-là dont on sait qu’il n’est pas bon de les évoquer ou qu’ils n’en valent pas la peine - volume impressionnant de vérités détournées, mensonges installés, caverne d’Ali Baba dont l’exploration est risquée quand on la pénètre plus avant. Ibsen n’hésite pas à frayer avec les faces cachées de tout un chacun. Les personnages ont la résonance de nos contemporains, tendus par le désir de vite s’enrichir, l’urgence de vivre ici et maintenant, sans peur du conflit.
La vérité est ici un concept qui voudrait se frayer un chemin dans un monde qui oeuvre à la dissimuler. Pour le metteur en scène allemand, Le Canard sauvage se lit telle une réponse à Un Ennemi du Peuple où la vérité est absolue : la vérité est-elle nécessaire, a-t-on besoin de mentir pour survivre ?
Le concepteur Thomas Ostermeier installe un plateau tournant où on circule d’un espace à l’autre, au plus proche de la vie privée de deux familles emmêlées. L’exposition s’ouvre sur le salon de Werle, homme d’affaires véreux, auquel le fils Gregers dénonce indices et secrets d’un passé douteux.
Or, toute vérité n’est pas bonne à dire, et à cette première famille bourgeoise fait écho celle d’Ekdal, ami d’enfance de Gregers, figure fragile qui s’imagine être un photographe inventeur, quand son père est un peu égaré après avoir connu la prison suite à des affaires commerciales délétères avec Werle.
La vie est un mensonge dans une famille sans histoires ; la fille souffre d’une maladie des yeux, et l’intérieur est plus modeste, un peu ancien et dépareillé.
Mais l’arrivée de Gregers fait voler en éclats l’illusion des apparences. Livrant au jour des secrets inavouables, Gregers, dangereux idéaliste épris de vérité, ébranle le fragile équilibre sur lequel est construit le prétendu bonheur.
La tension implicite de ces deux familles pèse lourd dans l’atmosphère, et nulle fenêtre de respiration ne semble venir au secours des personnages, si ce n’est pour celui de la fille d’Ekdal, adolescente éclairée qui tente de faire, à sa mesure, la part des choses, quand sa mère ploie sous la « faute », si l’on se réfère aux canons chrétiens de la culpabilité, alors même que Gregers apparaît comme un dieu vengeur excessif, ayant perdu pied avec le réel.
Les comédiens sont efficaces et carrés, nourris d’une vie intérieure intense qui se propage sur la scène, tant les enjeux de chacun sont serrés et tendus. Marie Burchard, Stephanie Eidt, Marcel Kohler, Magdalena Lermer, Falk Rockstroh, David Ruland, Stefan Stern, Thomas Bading/Josef Bierbichler sont remarquables, précis, justes et paradoxalement vrais dans leur jeu réglé.
Que dire du canard sauvage blessé, reclus dans l’enclos attenant à l’habitacle ? Il est vivant et tente de survivre comme les êtres blessés que sont les hommes. Ces derniers sont tous faillibles, et les femmes ont à peine voix au chapitre, muettes et silencieuses, porteuses des conséquences de la bêtise et de la suffisance masculines - monde oppressé qui nous ressemble.
Le Canard sauvage d’Henrik Ibsen par Thomas Ostermeier (Schaubühne, Berlin). Avec Marie Burchard, Stephanie Eidt, Marcel Kohler, Magdalena Lermer, Falk Rockstroh, David Ruland, Stefan Stern, Thomas Bading/Josef Bierbichler (en alternance). Texte Henrik Ibsen, adaptation Maja Zade et Thomas Ostermeier, mise en scène Thomas Ostermeier scénographie Magda Willi, costumes Vanessa Sampaio Borgmann, musique Sylvain Jacques, dramaturgie Maja Zade, lumière Erich Schneider. Le 5 juillet 18h, les 7, 8, 9, 10 et 11, 12, 14, 15, 16 juillet 17h à l’Opéra Grand Avignon.
Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage.



