Le Bizarre, un monologue, de Fabrice Melquiot

Le soliloque du pauvre

Le Bizarre, un monologue, de Fabrice Melquiot

Le pauvre sans logis, le pauvre d’esprit, le pas comme les autres, le pauvre solitaire qui vit dans son « appartement prairie immense d’encre noire et bleue » tel est le personnage auquel Fabrice Melquiot donne la parole dans ce texte intitulé Le Bizarre qui fait penser au beau texte de Jehan Rictus (1867), Le Soliloque du pauvre. Rictus écrivait une complainte dans une langue argotique savoureuse, Melquiot lui, est du côté de la poésie à la langue cabossée et rêveuse. Celui qui se fait appeler Michel semble complètement perdu depuis la mort de sa petite sœur ; il a perdu pied, tel un personnage de Folon, il a décollé du réel de la vraie vie pour s’épargner trop de douleur pourrait-on penser. : « Oh pardon ma sœur bloquée au ralenti j’ai maçonné des mots autour de mes tristesses […] quand j’ai vu son petit corps de sœur tout mouru dans la paille d’un berceau, j’ai pensé : ça est bien, elle est bien cette petite, elle a mouru exemplairement, maintenant elle peut revivre. Mais elle a pas revécu, on ne l’a pas conservée vivante ». La petite sœur est constamment présente, parfois dans des fantasmes trash.
A l’école on le traitait de « gros lard gros tas tafiolle », alors la confiance en lui, ce n’est pas son fort. Il rencontre une femme dans un rayon du Migros grâce à une boîte de flageolets et le voilà émoustillé : « une chenille, quelque chose était rentré dans mon slip. » Sur le parking, tout à trac il déclare à celle qu’il surnommera « mort-certaine » : « laisse-moi nous construire un chez-moi d’encre noire ou bleue pour éclairer le monde. » Sans le savoir, il entretient des relations au monde inédites, poétiques, écologiques, remarque que certains poulets bourrés d’antibiotiques « devraient tourner en broche dans les pharmacie ». Quand il se voit affligé d’un hoquet tenace et encombrant, tout naturellement il l’enferme dans un bocal qui, du coup, se met à tressauter.
On s’attache à ce personnage un peu braque, si malheureux et qui lutte pour ne pas faire complètement naufrage en s’accrochant au bastingage de son imagination. Sa solitude douloureuse rappelle celle du personnage de Premier amour de Beckett qui se parle à lui-même pour tromper le désespoir.
Fabrice Melquiot possède l’art de Novarina de faire danser les mots, de les arracher à la gangue du quotidien ; il tricote la poésie au kilomètre, du talent en veux-tu en voilà.

Le bizarre, un monologue de Fabrice Melquiot. BSN press, coll. Fictio, 2022. 60 pages.
Écrit pour l’acteur Roland Vouilloz, Le Bizarre a été créé le 11 janvier 2022 au Théâtre Saint-Gervais, à Genève, par le metteur en scène Jean-Yves Ruf.

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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