La véritable histoire du cheval de Troie de Claude Brozzoni, d’après Homère et Virgile
Une histoire d’hier aux accents d’aujourd’hui
… « Qui peut décrire ce que nous avons vu et avoir assez de larmes pour autant de souffrance ». L’homme qui parle ainsi est déjà là quand nous, spectateurs, arrivons dans la salle. Chapeau sur la tête, manteau sur le bras, on sent qu’il vient à peine d’arriver et de poser sa valise. Pas loin de lui un accordéoniste. Tous deux viennent de loin et nous attendent pour nous raconter leur histoire. Lui est Enée, le héros de Virgile qui quitta Troie en flammes en portant son père sur ses épaules et plus tard fonda Rome. L’autre est Tchavalo, un musicien des rues. Tous deux, accostés vraisemblablement sur les rives de la Méditerranée et en quête d’une terre habitable, sont là pour témoigner de la folie des hommes à travers la Guerre de Troie.
Guerre mythique dont l’étincelle fut allumée sur l’Olympe par Eris la déesse de la Discorde et dont un jeune pâtre du nom de Pâris qui gardait paisiblement son troupeau de chèvres au milieu des oliviers fut l’instrument. Parce que Vénus lui avait promis la plus belle femme du monde comme épouse, il partit à sa conquête, la trouva à Sparte. C’était la belle Hélène qu’il enleva à la barbe de Ménélas son époux.
Enée ( Guillaume Edé d’une étonnante plasticité de jeu) et Tchavalo (Claude Gomez qui signe la musique et les chansons du spectacle) revivent pour nous ce « grand tremblement de terre méditerranéen » que furent les dix ans de guerre et de rage qui s’en suivirent , la résistance de Troie et comment grâce à la ruse du fameux cheval, les grecs réussirent à l’envahir. Ils racontent le fer et le feu, le massacre des habitants et la fuite des rescapés. « Tout ce qui pouvait être fait ici a été fait » nous dit Enée dont la voix est relayée par les déchirantes sonorités tziganes de l’accordéon.
Servi par deux passeurs d’intense présence, Claude Brozzoni puise, avec un sens certain de l’épique, dans L’Odyssée du grec Homère et surtout dans le chant II de L’Enéide du lointain descendant des troyens qu’est l’italien Virgile, enlace en une geste cousue serrée qui nous tient en haleine, le mouvement, la parole à la musique, « maison, de ceux qui n’en ont pas » et qui peut mieux que les mots nous faire percevoir l’indicible de l’exil, et de ses douleurs.
Deux aèdes du fond des temps aux allures d’Ulysse contemporains, entre burlesque et tragédie, parlent, chantent, dansent leur histoire tissée de bravoure, de lâcheté, de trahison, mais aussi d’amitié et de partage. Nous disent, comme on constate , leur espoir d’asile et de paix, la tristesse de leur déconvenue : « Voilà des années maintenant que nous cherchons un havre de paix. Le vent nous a traînés sur toutes les mers. Partout on nous refuse d’accoster. On nous refoule vers les eaux. Il y a des bandes qui poussent des cris de guerre et nous insultent et nous crachent au visage ». Venus d’ailleurs, « ils pourraient être syriens, kurdes, libyens, mais aussi tziganes, juifs, chrétiens, ou musulmans » explique fort justement Claude Brozzoni qui signe un spectacle à voir aussi bien pour la subtilité et esthétique de sa facture que pour la force d’un propos qui sonne comme une alerte.
La véritable histoire du cheval de Troie. Textes de Virgile et Homère. Mise en scène et adaptation Claude Brozzoni avec Guillaume Edé et Claude Gomez (55’)
Les Déchargeurs. Tous les lundis à 21 jusqu’au 16 décembre.
www. Lesdeschargeurs.fr
photo ©Alexandra Delaminne