La Mouette d’Anton Tchekhov
Mettre en scène le tremblement de l’être
Tout est théâtre dans La Mouette. Cet oiseau vivant que l’on tue pour rien, et qu’on empaille est l’allégorie de la vocation du théâtre à représenter le vivant, ou pas, et selon quelles modalités.
La pièce s’ouvre sur la représentation d’un poème dramatique à forte connotation symboliste créée par Treplev, jeune homme dévoré par son désir de création artistique, et interprétée par Nina, l’amour de sa vie, une petite voisine qui rêve d’être actrice. Si Tréplev croit rageusement à un théâtre novateur c’est davantage pour s’opposer à sa mère, l’actrice Arkadina, qu’il adore et méprise tout comme elle le méprise. Tréplev a tragiquement besoin de reconnaissance, mais écrasé par une mère qui joue les stars bas de gamme, abandonné par Nina, séduite par l’écrivain Trigorine (amant d’Arkadina), il finira par se suicider par manque d’amour et de compréhension. S’il est question d’art il est aussi question d’amour, toujours déçu.
Brigitte Jaques-Wajcman dépasse les problèmes existentiels qui rongent les uns et les autres pour capturer le tremblement de l’être, la fragilité de la condition humaine, renouant par un chemin de traverse avec ses belles lectures de Corneille et Racine. Sa mise en scène est une épure délicate où vibrent les lumières (Nicolas faucheux) et l’espace tout entier. En fond de scène une immensité bleu, à la fois l’étang de la propriété et le ciel qui s’y reflète au gré des couleurs changeantes du jour. Au cœur de la scénographie de Grégoire Faucheux, une estrade carrée constituée de blocs de bois qui s’écrouleront à mesure que l’on approche du drame. Elle ne recourt à aucun artifice et donne la main aux comédiens qui seuls font le jeu, un jeu qui donne à voir l’invisible, l’au-delà des mots. Chaque personnage nous émeut et l’on voudrait les secourir, les réconcilier entre eux et avec eux-mêmes. Raphaël Naasz donne à Treplev une intériorité qu’on lui voit rarement ; loin d’être ridicule comme souvent, il nous laisse deviner le feu qui brûle l’artiste et le fils incompris. Pauline Bolcatto est une Nina touchante. Joyeuse, gonflée d’enthousiasme enfantin et d’espoir naïf, elle reviendra de son séjour à Moscou exténuée, anéantie à en perdre la raison, abandonnée par le théâtre et par le célèbre écrivain Trigorine (Bertrand Pazos) qui va à la pêche pour échapper au calvaire de l’écriture. Arkadina (Raphaèle Bouchard) est aux yeux de son fils l’incarnation d’un théâtre conformiste vidé de toute substance, éternel débat entre avant-garde et convention. Servie des comédiens excellents et par l’élégante traduction de Gérard Wajcman, la belle mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman, telle une mise en abyme, est elle-même un hommage au théâtre.
La Mouette d’Anton Tchekhov, traduction Gérard Wajcman. Mise en scène Brigitte Jaques-Wajeman. Avec Pascal Bekkar, Pauline Bolcatto, Raphaèle Bouchard, Hélène Bressiant En Alternance Avec Sophie De Fürst, Sophie Daull, Vincent Debost En Alternance Avec Luc Tremblais, Timothée Lepeltier, Raphaël Naasz, Fabien Orcier, Bertrand Pazos. Scénographie, Grégoire Faucheux. Lumières, Nicolas Faucheux. Création sonore, Stéphanie Gibert. Costumes, Chantal de La Coste. A Paris, Théâtre de la ville-Les Abbesses jusqu’au 25 février 2023.
www.theatredelaville-paris.com
© Gilles Le Mao
Tournée
8 et 9 mars, Théâtre du Beauvaisis, Beauvais