Du 4 au 8 novembre 2025 à la Comédie de Valence - CDN Drôme-Ardèche, et en tournée en janvier 2026 à la MC93 Bobigny et à la Comédie de Caen- CDN.
La Chambre de l’écrivain - Cycle Liliane et Paul -, texte, mise en scène et scénographie de Marc Lainé.
Par-delà les histoires personnelles désenchantées, la survivance de participer à un monde prometteur.

Les spectacles de Marc Lainé flirtent avec le cinéma et ses multiples genres - le road-trip, le fantastique, l’horreur, une vraie culture pop. Soit un art de l’invention, un goût signé pour les arcanes de l’imaginaire qui ne connaît pas de repos - vastes images radieuses de paysages extérieurs comme de jolies couleurs de vies intérieures, l’existence se mesurant au plaisir de découvrir et d’aimer, et l’auteur embarque son public dans le souffle d’un pilotage élaboré. Voyage auto dans des forêts neigeuses québécoises ou bien en train modeste de banlieue.
Avec le Cycle Liliane et Paul, Marc Lainé, auteur, metteur en scène, scénographe, directeur de la Comédie de Valence CDN-Drôme-Ardèche invite le public à frayer avec l’histoire de Liliane et Paul, couple inspiré par ses parents, à trois moments-charnières de leur existence. Dans Nos paysages mineurs, est dépeinte la rencontre des deux personnages dans l’effervescence politique de l’après-Mai 68, jusqu’à sa rupture en 1975. Dans En finir avec leur histoire, rendez-vous est pris avec les deux mêmes, seize ans plus tard, en 1992, au temps des désillusions. Et dans La chambre de l’écrivain, Martin, fils de quarante-cinq ans, s’essaie à mettre en scène un spectacle sur la vie de ses parents lors de la nouvelle vague émancipatrice contre les forces du patriarcat et du capitalisme. Trois spectacles qui en appellent à la fois à l’intime, à la vie privée et à l’Histoire et ses idéologies.
Ces dernières créations inclinent à l’autobiographie et au retour à soi - bel autoportrait en filigrane de l’artiste et révélation d’obsessions personnelles, telle la volonté de dénoncer et de renverser la domination patriarcale - un geste contemporain, s’il en est -, infléchissant le regard grâce au miroitement scénique du décalage historique. Le combat des seventies - émancipation et féminisme - clame le droit à l’avortement, celui de la femme à disposer de son propre corps. « Elle » choisit son état, alternant les réponses selon sa situation.
Avec le recul, subsiste une affaire de baby-boomers dénigrés et de « soixante-huitards » désillusionnés dont les luttes n’en ont pas moins porté leurs fruits. Sur la scène, plane un air de mélancolie, entre déception et consolation, qu’illumine la présence de la technicienne de plateau (Selma Noret-Terraz), jeune figure enthousiaste de l’avenir, qui dit son fait - politique, écologique, social et sociétal au metteur en scène (Charles-Henri Wolff). Elle est « habilitée au montage de la levée des décors », rien de plus mais tout est dit. Les jeunes générations s’abstraient de toute défiance idéologique et prennent à bras-le-corps les nouveaux combats pragmatiques.
C’est aussi l’échec d’une histoire d’amour en même temps que sa révélation initiatrice dans la belle évidence d’une passion absolue - la vérité intense des sentiments qui ne mentent pas dans cet avènement de la sensation d’exister. Le fils in-tranquille est en quête des ratés et des bonheurs d’aimer parentaux.
En écrivant sa pièce, l’auteur « névrosé », « ego-centré » reproduit le geste destructeur du père, auteur d’un roman sur la mère non-bourgeoise et de ce fait, soumise.
Théâtre dans le théâtre ou fiction dans la fiction, l’ivresse du passage des murs des appartements ou des années dans le temps n’en finit pas de capter l’attention du spectateur amusé de l’inversion physique des scènes en miroir - drôle de Galerie des Glaces -, depuis la fameuse chambre de l’écrivain - clin d’oeil à Une chambre à soi de Virginia Woolf- à l’espace convivial du salon, où les lieux et les interprètes sont tantôt filmés, tantôt à vue, et leurs pas dessinent une ronde - sensible rapprochement ou éloignement scénique. Sous les musiques à jardin de Paolo Rezze et de Vincent Segal, à l’écoute des paroles échangées.
Que dire encore des cintres au-dessus du plateau, qui font surgir de la cage de scène une série de poids et de cloches - piano visuel vertical et grandiloquent -, selon que l’on construit ou dé-construit les pièces, en levant ou en abaissant les parois - un divertissement esthétique mobile et inédit.
Et les comédiens sont tous justes et pertinents, Stéphane Excoffier en mère d’aujourd’hui vivace et rebelle, tandis que Marcel Bozonnet joue le père âgé d’aujourd’hui, perdu dans ses pensées et porteur d’une sagesse fondatrice.
La lumineuse Adeline Guillot, la mère des années 70, ménage réflexion et sensualité face à cet ex-mari - Vladislav Galard -, sûr de soi et de son fait, le crayon à la bouche, allongé sur son lit, facétieux et amoureux, insouciant, plutôt nonchalant et rétif à l’émancipation assumée de sa jolie femme. Il joue en alternance avec Alexandre Pallu qui répond à même hauteur de ce brio scénique.
Un voyage bienfaisant entre un passé pas si éloigné, un plus proche et un présent immédiat, qui permet de transcender les désillusions et les doutes pour réaffirmer encore et toujours la juste appropriation du monde à investir. A travers l’art et la littérature, le verbe, les images, la musique.
La Chambre de l’écrivain - Cycle Liliane et Paul -, texte, mise en scène et scénographie Marc Lainé, avec Marcel Bozonnet, Stéphane Excoffier, Vladislav Galard en alternance avec Alexandre Pallu, Adeline Guillot, Selma Noret-Terraz, Charles-Henri Wolff, et les musiciens Paolo Rezze et Vincent Segal, musique originale : Vincent Segal, lumière Kevin Briard, son Clément Rousseaux-Barthès, vidéo Baptiste Klein, costumes Dominique Fournier, assistanat à la mise en scène Antoine de Toffoli, collaboration à la scénographie Stephan Zimmerli membre de l’Ensemble artistique de la Comédie de Valence - CDN Drôme-Ardèche, édit. Actes Sud-Papiers (2025). Spectacle présenté dans le cadre des 25 ans de la Comédie itinérante. Du 4 au 8 novembre 2025 à la Comédie de Valence. Du 22 au 25 janvier 2026, à la MC93 - Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis. Les 28 et 29 janvier 2026, Comédie de Caen, CDN de Normandie .
Crédit photo : Marc Lainé



