L’Usage du monde de Nicolas Bouvier

En route, le mieux c’est de se perdre

L'Usage du monde de Nicolas Bouvier

En 1953, en pleine guerre froide, le Suisse Nicolas Bouvier s’embarque à bord de sa petite Fiat Topolino avec sa Remington portative, un appareil photo, un accordéon et quelques carnets de notes. Il a rendez-vous à Belgrade avec son ami peintre Thierry Vernet pour un voyage au long cours qui durera trois ans et le conduira jusqu’en Inde. Il remplit ses carnets de rencontres, fait des photos, enregistre des musiques. Au terme de l’aventure, il écrit L’Usage du monde qui en relate la première année ; d’abord publié à compte d’auteur, l’ouvrage deviendra tardivement, dans les années 1990, une référence en matière de récits de voyage. Catégorie récente qui regroupe des auteurs très divers, sous la bannière de Jack Kerouac, il y autant de philosophie du voyage que d’écrivains voyageurs.
Bouvier voyage en journaliste, il veut donner à voir, à entendre, à sentir. Il voit dans le voyage un éloge de la lenteur et un chemin d’apprentissage buissonnier : « J’ai fait mes universités sur les routes et j’ai appris beaucoup ». C’est une posture qui exige une disponibilité à tout ce qui peut arriver sans préjugés, une capacité à tout accueillir également, les bonheurs et les épreuves, la maladie, les incidents techniques, les surprises plus ou moins bonnes. « La vie nomade est une chose surprenante. On fait quinze cents kilomètres en deux semaines ; toute l’Anatolie en coup de vent. Un soir, on atteint une ville déjà obscure où de minces balcons à colonnes et quelques dindons frileux vous font signe. On y boit avec deux soldats, un maître d’école, un médecin apatride qui vous parle allemand. On baille, on s’étire, on s’endort. Dans la nuit la neige tombe, couvre les toits, étouffe les cris, coupe les routes…et on reste six mois à Tabriz, Azerbaïdjan. » C’est une expérience du monde, des autres et de soi : « En route le mieux c’est de se perdre, lorsqu’on s’égare, les projets font place aux surprises et c’est alors que le voyage commence ». Ainsi disait au XVIIIe siècle Nahman de Bratslav : « Ne demande jamais ton chemin à celui qui le connaît car tu pourrais ne pas t’égarer. »

Le spectacle est un projet du comédien franco-suisse Samuel Labarthe, mis en scène par Catherine Schaub avec beaucoup de délicatesse. Dans la toute petite salle du Poche, assis sur un banc, en intimité avec le public, Labarthe raconte quelques étapes du voyage devant des projections de dessins de Thierry Vernet et de photos noir et blanc. Le récit est ponctué de discrets moments musicaux. Bouvier a l’art de croquer des scènes vivantes et de dessiner une géographie humaine. Sans chercher à se faire valoir, il veut donner à voir, partager. Le ton se fait parfois humoristique pour expliquer comment et pourquoi il a conçu une haine éternelle des mouches. Nicolas Bouvier ne pouvait imaginer meilleur guide que Samuel Labarthe pour nous conduire sur les routes de ce périple aventureux et philosophique de sa voix douce et rieuse.

L’Usage du monde de Nicolas Bouvier. Adaptation Anne Rotenberg et Gérald Stehr. Mise en scène, Catherine Schaub. Avec Samuel Labarthe. Scénographie, Delphine Brouard. Lumières, Thierry Morin. Création vidéo, Mathias Delfau. Son, Aldo Gilbert. Voix de Thierry Vernet : Alexandre Labarthe. Paris, Poche-Montparnasse, jusqu’au 5 mars 2023.
© Emilie Brouchon

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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1 Message

  • L’Usage du monde de Nicolas Bouvier 12 avril 2023 11:26, par Andree Jeanne Betouret

    Bonjour existe-t-il un livre d’où est tirée la pièce de théâtre.
    merci pour votre réponse AJB

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