L’Homme de plein vent de Pierre Meunier

Deux poètes acrobates défient la loi de la gravité.

L'Homme de plein vent de Pierre Meunier

L’Homme de plein vent a été créé en 1996, au Festival d’Avignon ; vingt-six ans plus tard, Pierre Meunier et Hervé Pierre reprennent le flambeau, sous le regard de l’artiste Marguerite Bordat.
En dépit des années passées éprouvantes, l’inénarrable duo métaphysique Leopold Von Fligenstein et Kutsch se remet en selle pour « savourer des gouttes d’air et causer gravitation ».

Et c’est bien assis sur une vielle selle lustrée, pourquoi pas de voltige cosaque, que la première image scénique, venue de l’art du cirque, s’impose au spectateur. Nos deux larrons - Laurel et Hardy d’un autre temps, à moins que ce ne soit les deux causeurs beckettiens qui attendent leur Godot - sont installés sur un fil tendu qui traverse le plateau, une corde plutôt, même si le mot est banni du théâtre, et qu’une corde verticale, on en verra, simulant la pendaison, le dernier recours.

Mais, avant d’en arriver là, même si l’un plutôt que l’autre, joue sa propre fin inventée, ils sont harnachés, tels des cow-boys de western, simulant une dangereuse équipée à cheval, quand bien même la monture n’existe pas, installés cahin-caha, selon des garanties de sécurité approximatives ; et Kutsch (Hervé Pierre) ne joue pas les héros, un rien couard plutôt, et trouillard.

Pour Pierre Meunier, auteur, concepteur et interprète de L’homme de plein vent, avec Hervé Pierre, son complice de longue date, le spectacle est toujours une déclaration de guerre à la pesanteur, un combat sans fin contre les forces adverses d’écrasement, de nivellement qui incitent les êtres à consentir à tout, à ce qu’ils se soumettent - tendance qui s’aggrave : « Mais ça appuie fort, alors c’est à la force du poignet. On a les mains dans la fonte, on ne fait pas semblant ».

La protestation déraisonnable se fait argument céleste - mais les poids sont fort lourds à porter et à transporter, en dépit de tout -, une aventure néo-donquichottesque à l’origine, qui s’affranchit de la raison et du possible, pour penser l’utopie, selon une rêverie toute musculaire et physique.

Car les deux n’arrêtent pas, le rêveur Léopold monte sur un haut matelas de tapis de feuilles de ferraille superposées, sautant dessus comme sur un trampoline, cherchant le sommeil. Quant à
Kutsch, il est un ancien contrôleur des poids et des mesures, il sait ce que porter du poids veut dire, tourné vers la terre et la jouissance de la matière, tenant haut les éléments les plus lourds.

Un exemple même du beau paradoxe entre l’aspiration au déploiement, à l’essor, au réveil de l’imaginaire, et l’envie de pactiser avec le réel, la tentation de l’effacement et du repli. Tenter le diable ne lasse pas les deux opposants qui flirtent avec le réalisme, tout en levant les yeux au ciel.

Le poids des machines, de la machinerie, des masses, de la matière pesante, de l’ennui de vivre, la fonte : tout est dansant jusqu’aux poulies, la corde et la somptueuse toile solide et colorée à hisser. Pour que la fresque soit vivante et respire, le machiniste Jeff Perlicius ne cesse de manipuler patiemment son embarcation - et les métaphores marines sont alors pléthore. Mouvements ondulatoires, chutes accélérées, poids, instruments de métal, cuivrés et patinés ;

Son, lumière, corps humains, mots, machinerie, tout est perturbation, tel le faisceau d’une lampe sur une matière. Poésie, théâtre et onirisme : la loi commune de ce duo solaire qui fait en sorte que, tels des songeurs et créateurs inspirés, le public soit entièrement captivé par l’aventure.

La suspension, la chute des boulets à terre qu’il faudrait rediriger pour éviter les guerres, via un ballet de tuyaux qu’on ré-ajuste comme des esquisses de tubes miniaturisés, caillasses rêches en chute libre et - folie - un gigantesque ressort mangeur de boulons à domestiquer et à apprivoiser.

Poésie et humour d’une quête - la libération de la matière et des corps, de la lourdeur existentielle qui cloue au sol tout être. Un rêve vivant qui respire, élancé dans les airs de l’imaginaire afin de mieux se défendre à terre et de résister, grâce à la magie de deux poètes sensibles et fantasques.

L’Homme de plein vent, texte Pierre Meunier, avec Pierre Meunier, Hervé Pierre, Jeff Perlicius. Re-création 2019, sous le regard de Marguerite Bordat, collaboration artistique Claire -Ingrid Cottenceau (1996), machines et machineries Jean-Pierre Girault, Jean Lautrey, Jean-Claude Mironnet, son Michel Maurer (1996), Hans Kunze (2019), lumière Joël Perrin. Du 9 au 20 mai 20h, et du 23 au 26 mai 21h, relâche dimanche, au Théâtre de La Bastille 76, rue de la Roquette 75011 Paris. Tél : 01 43 57 42 14 www.theatre-bastille.com
Crédit photo : Jean-Pierre Estournet

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Véronique Hotte

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