K. par Alexis Armengol au Théâtre .11, Festival Avignon Off

Parler et communiquer avec l’Autre, quel qu’il soit.

K. par Alexis Armengol au Théâtre .11, Festival Avignon Off

Alexis Armengol - le théâtre à cru - revendique l’esprit d’une démarche artistique, celui du théâtre et de la relation clinique autour de ce qu’on pourrait appeler la vulnérabilité, un théâtre encore qui écouterait l’humanité dans ses fragilités : ainsi Vilain ! (2018), puis Vu d’ici (2021), enfin K. (2023).

Fort d’un parcours universitaire ancré dans la psychologie clinique, puis au cours d’une présence hebdomadaire au CMPP- Centre Médico-Psycho-Pédagogique-, de septembre 2019 à juillet 2020, le metteur en scène a participé à de nombreux entretiens cliniques, proposant la création d’un atelier d’expression théâtrale avec des enfants « autistes » parlants, selon une méthode d’improvisation ouverte et propice à l’association libre - sons, gestes et situations.

Et un accompagnement spécifique avec un enfant mutique, une expérience révélatrice d’un réel bruyant mais sans mot : le K. La pièce s’apparente à un jeu sonore et visuel. Et K est un personnage de projections, animé par les dessins, les lignes tracées sur le papier, sur le bois. C’est le spectateur qui le voit, l’appréhende et l’observe en s’interrogeant lui-même, intrigué.


Pour faire vivre sur scène - l’apparition d’un mystère -, le personnage créé n’est pas incarné par un interprète. Avec Shih Han Shaw (dessin et animation) et Félix Blondel (animation), le personnage est créé en film d’animation - images projetées, matières -, soit deux grands yeux vifs expressifs, une fenêtre sur l’âme que l’on rêverait voir devenir pont. Mais l’autre rive est trop loin pour l’instant. Le spectacle est une création évoquant « la force d’accepter de ne pas savoir, sans fuir. »

Le personnage de film d’animation surgit de l’interstice entre un sommier et un matelas, parvenant à force d’efforts à s’en extraire pour finalement privilégier la station debout, confronté au monde.


Kadhiravan, ne parle pas du tout, mutique absolument. La figure énigmatique - silence et mystère- de Kadhiravan ne laisse certes pas indifférent : elle touche en échange, vivement et intensément, parents, amis, soignants, témoins, dont les réactions divergent et varient : curiosité, peur, rejet... Comment trouver le chemin qui mène de « soi » à lui et de lui à « soi » ?

Reste une écriture de plateau singulière, l’imagination, la projection, le chant, la mélodie en lieu et place du sens. Jeu, musique, dessins en direct, animation, la rencontre vers l’Autre est possible.
Comment parler ou s’adresser à K ? Il vous regarde de ses grands yeux profonds où l’interlocuteur sans réponse ni répartie est acculé à être renvoyé d’où il vient, comme un boomerang. Nul écho, ni caisse de résonance, ni le moindre signe de communication ou d’échange réactif. K est dans son monde, et il ne semble guère vouloir s’en départir pour quelque raison extérieure aléatoire.

K a des raisons que nous ne saisissons pas : on aura beau lui lancer une balle, elle rebondira dans le vide, achoppera sur un obstacle quelconque, sans jamais celui que l’on voudrait voir intéressé ne fasse le moindre mouvement instinctif d’une bonne réception plus ou moins ajustée.

La sollicitation semble vaine à perpétuité, butant, achoppant, tombant dans le vide, à tout coup. Et pourtant, il suffit d’une patience constante de la part du demandeur pour que le demandé, un jour, par inadvertance, reconnaisse son semblable qui l’interpelle, et consente à arrêter sa balle.

Belle leçon d’humanité d’autant que les trois lurons s’en donnent à coeur joie, enjoués, allègres, alertes, participatifs, joueurs : les interprètes, Laurent Seron-Keller, Shih Han Shaw, Romain Tiriakan. Le premier paraît naître à la vie à chaque apparition, curieux d’apprendre, de connaître et de rencontrer l’Autre, tandis que la seconde s’adapte avec le sourire à toutes les demandes, pendant que le troisième encore, lunaire mais disponible, s’amuse du son et de la musique.

Un spectacle coloré et prometteur de ce désir de prendre contact avec l’Autre, en dépit de lui.

K., écriture, conception & mise en scène Alexis Armengol - Compagnie Théâtre à cru. Théâtre, film d’animation, chant et musique. Avec Laurent Seron-Keller, Shih Han Shaw, Romain Tiriakan. Dessins et films d’animation, Félix Blondel et Shih Han Shaw, voix de K. Marius Seron-Keller, lumière Sébastien Marc, son Quentin Dumay et Julien Bouvier, scénographie Heidi Folliet. Festival Avignon Off, du 7 au 26 juillet à 9h50, relâches les 13 et 20 juillet, au .Onze Avignon. Le 12 Décembre 2023, Théâtre d’Auxerre. Les 20 et 21 Décembre, Vandoeuvre-lès-Nancy. Le 3 Février 2024 : Festival MOMIX, Kingersheim.
Crédit photo : Simon Gosselin.

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Véronique Hotte

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