Du 20 novembre au 1er décembre 2024 au Théâtre des Bouffes du Nord - Le Festival d’Automne à Paris.
Inconditionnelles de Kae Tempest par Dorothée Munyaneza.
La pratique de l’art comme salut existentiel.
A l’occasion de la création d’Inconditionnelles, Dorothée Munyaneza, rwandaise et britannique, met en scène sa traduction en français de la pièce de Kae Tempest Hopelessly Devoted (2015), elle-même chanteuse, musicienne, auteure, performer. De son côté, Dorothée Munyaneza est aussi musicienne, auteure et chorégraphe, créant une œuvre ardente, sur la scène contemporaine internationale : des projets musicaux et chorégraphiques qui, depuis le réel, saisissent la mémoire et le corps, individuels et collectifs. A travers inconditionnelles, la metteuse en scène tente de « comprendre comment le milieu carcéral synthétise et perpétue une intersection de violences racistes, coloniales, de classe et de genre », absorbée par l’intime, le micro-politique - et les frontières étatiques, institutionnelles, corporelles s’effaçant ainsi.
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Chess (Grace Seri), la protagoniste, est en prison où elle purge une longue peine pour homicide. Elle y rencontre son âme soeur, Serena (Bwanga Pilipili). Quand celle-ci est mise en liberté conditionnelle, Chess perd sa raison de vivre ; rétive et en opposition avec tout ce qui ne la concerne pas, elle participe, d’abord sur la réserve, à un atelier de musique assuré par la solaire Silver (Sondos Belhassen).
Peu à peu, elle prend conscience de cette chance inouïe - la pratique de l’art musical qui l’illumine - déjà pianiste, percussionniste, chanteuse et danseuse dans la « vraie vie » -, elle doit, pour atteindre à la fois la pleine résonance de sa voix et celle de sa présence physique sur un plateau scénique, regarder bien en face et formuler les blessures passées subies par un mari violent qu’elle a supprimé, laissant du coup sa fille Kayla, treize ans à présent, sans père ni mère - vraie douleur. La musique pour l’héroïne est salut, sauvegarde, condition existentielle - une re-construction de soi progressive et patiente à laquelle elle se voue enfin.
Ombre de caverne, panneaux de tissu qui se lèvent ou s’abaissent, et répartition binaire des lieux - celui de la cellule et celui de l’atelier musical, Chess passant de l’un à l’autre, auprès de Serena, puis de Silver, accompagnée systématiquement par la raideur bouffonne et comique de la gardienne Davide-Christelle Sanvee. Des rayons lumineux dessinent les surfaces, celle du cachot, comme éclairant les tapis de sol de la cellule qui servent de coussins, de couvertures, de châles …
Près du mur de lointain, une estrade, un promontoire, signifie l’espace de rencontre entre la prisonnière et son ancienne amante - croisée douloureuse des chemins.
Les interprètes sont lumineuses, impliquées, arborant la scène pleinement, déclamant les sentiments ressentis, les émotions - peines, douleurs et humiliations en même temps que la reconnaissance d’un bien-être amoureux à deux dans l’enfermement - confort illusoire qui serait peut-être fragile à l’extérieur de la prison.
Avec la musique de Dan Carey, les arrangements et la création sonore de Ben LaMar Gay, offrant au public des nappes de son qui rappellent la sonorité froide des barreaux heurtés et celle des cris des prisonnières - univers âcre et métallique -, la parole théâtrale de Kae Tempest, l’assurance corporelle et chorégraphiée de Grace Seri et de toutes ses compagnes oeuvrent à un rythme balancé, tenant la salle en éveil, tendue par l’histoire - enjeux de vie, de lutte pour l’existence vraie - via la niaque de belles comédiennes résolues qui empoignent le regard et l’écoute.
Inconditionnelles, texte de Kae Tempest, musique de Dan Carey, traduction (Edit. L’Arche) et mise en scène de Dorothée Munyaneza, Arrangements et création sonore Ben LaMar Gay, scénographie et lumières Camille Duchemin, costumes Lila John, coordination artistique Virginie Dupray, assistanat à la mise en scène Lisa Como. Avec Sondos Belhassen (Silver), Bwanga Pilipili (Serena), Davide-Christelle Sanvee (La gardienne), Grace Seri (Chess). Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, du 20 novembre au 1er décembre 2024, du mardi au samedi 20h, matinée samedi 30 novembre15h, matinée le dimanche 16h, au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris. Le 5 décembre 2024 à L’Arc, Scène nationale Le Creusot. Le 17 janvier 2025 à L’Espal, Scène nationale du Mans. Du 23 au 25 janvier 2025 au Théâtre Royal de Namur, Belgique. Les 30 et 31 janvier 2025 aux Halles de Schaerbeek, Bruxelles – Belgique. Du 26 au 28 mars 2025 au Théâtre de La Croix-Rousse, Lyon.
Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage.