Hedda, version contemporaine d’après Hedda Gabler d’Ibsen par Aurore Fattier.

Le désir à fleur de peau d’une vie pleine et entière.

Hedda, version contemporaine d'après Hedda Gabler d'Ibsen par Aurore Fattier.

Refuser obstinément les compromis d’une vie médiocre, explorer ailleurs et sans cesse, et voir autrement la vie, telle est la volonté de la figure féminine ibsénienne Hedda Gabler, manipulatrice et manipulée - incomprise en son temps et en tout temps dont le nôtre, toujours et encore, malgré les avancées du féminisme -, malheureuse, écartelée entre un amour de jeunesse et un mari.

Avec Hedda, variation contemporaine de Hedda Gabler, Aurore Fattier, conceptrice oeuvrant en Belgique, attachée à la littérature classique et contemporaine - ainsi Phèdre, mais aussi Houellebecq, Thomas Bernhard, entre autres …- ajoute, via les auteurs Sébastien Monfé et Mira Goldwicht, d’autres personnages à la parentalité du rôle éponyme de la pièce, car avant d’incarner Hedda, la protagoniste est la metteuse en scène Laure - Maud Wyler -, qui monte Hedda Gabler.

Le père, compositeur de musique en mal de création, autoritaire et un peu fou - magistral Carlo Brandt - reste dans les parages immédiats de la fille en burn out. De même, elle a en charge une nièce vivant en internat dont la mère disparue n’est autre que sa propre soeur, et Laure est aussi en relation plus que houleuse avec le compagnon énigmatique de cette soeur, père de sa nièce.

Et la protagoniste de Hedda - vertigineux théâtre dans le théâtre -, à la fois l’artiste-conceptrice Laure et celle qui s’approprie le personnage de Hedda, rôle qu’elle vole à la comédienne Louise attendant un enfant, coupable donc d’être bientôt mère - jouée par Anna Schaeffer - et qui ressemble étrangement à la disparue, une quinzaine d’années auparavant, elle-même actrice.

Ce portrait pluriel de femmes se dessine, lors de la dernière semaine égrainée de répétition d’Hedda Gabler - dimanche, lundi, mardi … -, jouant sur les effets de miroir entre passé et présent, art et réalité.

Avec pour écho inventif, la vidéo/cinéma de Vincent Pinckaers, et la scénographie de Marc Lainé, astucieuse, comme toujours, qui invite à voir sur le plateau l’espace du foyer - cuisine, table de salle à manger et repos - que borde à cour, le couloir étroit d’une loge, tandis qu’au-dessus encore du mur principal, un petit écran découvre le travail théâtral scénique, avant qu’un large écran superposé et élevé n’accueille encore les scènes jouées ou les pauses de temps libre.

Soit des allers-retours dans l’espace et dans le temps qui sont autant de manières d’interpeller la célèbre pièce d’Ibsen. Plutôt qu’ériger sur la scène la statue d’une héroïne fascinante, Aurore Fattier, la metteuse en scène extérieure à la pièce et non plus intérieure à la pièce - objet à facettes et boule magique - questionne le mythe et invite par une mise en abyme ouvragée, à trouver dans l’oeuvre ibsénienne matière infinie à raconter autrement une vie de femme.

Certes, cette existence féminine est cantonnée au domaine du théâtre - moments de répétition du travail scénique dans la fréquentation familière des acteurs -, un bémol que cet entre-soi un peu réducteur qui n’ouvre peut-être pas suffisamment au souffle d’air revivifiant, à l’élan vers le monde.

Or, cette vie inventée d’une femme autre à dimension significative, - retour à soi, liberté et émancipation -, aussi redoutable et imprévisible chez tout être quand il est aux prises avec les jours qui passent, ses défunts et ses disparus, est une broderie subtile, à la façon d’une série où tout élément dramaturgique n’est jamais laissé au hasard, où les personnages dévoilent leur part d’ombre : le produit d’une réflexion rigoureuse et exigeante, un spectacle vivant de haute volée.

D’un costume daté d’héroïne du XIX è siècle à celui d’une femme d’aujourd’hui en pleine activité, la lisière est infime, tant les êtres se ressemblent, d’un petit arrangement à l’autre, d’une prétendue libération à l’autre, et les mêmes empêchements sont à déverrouiller d’urgence.

Les interprètes, que nous ne pouvons tous citer, sont à la hauteur singulière de leur personnage.

Un spectacle patient, soigné et délicat, à la belle envergure éthique et esthétique.

Hedda, variation contemporaine d’après Hedda Gabler d’Henrik Ibsen, texte de Sébastien Monfè, Mira Goldwicht, mise en scène d’Aurore Fattier. Avec Maud Wyler, Yoann Blanc, Valentine Gérard, Delphine Bibet, Annah Schaeffer, Fabien Magry, Alexandre Trocki, Carlo Brandt, Fabrice Adde, Lara Ceulemans, Deborah Marchal. Scénographie Marc Lainé, en collaboration avec Stéphane Zimmerli, Juliette Terreaux, vidéo/cinéma Vincent Pinckaers, costumes Prunelle Rulens, Odile Dubucq, coiffure Isabel Garcia Moya, lumière Enrico Bagnoli, musique Maxence Vandevelde. Du 12 mai au 9 juin 2023 à 20h, sauf jeudi 18 mai 15h, relâches lundi et dimanche 21 mai aux Ateliers Berthier 1, rue André Suarès 75017 - Paris. Les 28 et 29 juin, Mars, Mons arts de la scène. Les 13 et 14 décembre, Comédie, CDN Reims.
Crédit photo : Claire Bodson

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Véronique Hotte

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