Festival de la Décentralisation à Colmar

La mémoire comme fusée d’avenir

Festival de la Décentralisation à Colmar

Du 28 au 30 septembre, Guy-Pierre Couleau directeur de la Comédie de l’Est, Centre Dramatique National (CDN) de Colmar a décidé de célébrer les soixante-dix ans de la Décentralisation en organisant une manifestation festive et conviviale émaillée de spectacles, tables rondes, projections et exposition d’images d’archives qui relatent l’histoire des heures pionnières de cette exceptionnelle aventure que fut la naissance de la Décentralisation. « Non pas, dit-il, par nostalgie mais juste pour se rappeler l’histoire d’hier afin de mieux comprendre où on doit aller aujourd’hui et aussi parce que c’est ici qu’est né, dans l’immédiate après-guerre, le premier Centre Dramatique et qu’il n’est pas inutile dans les temps que nous vivons de se souvenir que parmi les idéaux qui ont porté la Décentralisation figurait l’idée de reconstruire par le théâtre une France complètement en ruines ».
Un peu d’Histoire
En 1946, quatre municipalités d’Alsace-Lorraine (Colmar, Mulhouse, Strasbourg, Metz) décident de fonder un syndicat intercommunal qui permettrait dans cette région que l’occupation avait germanisée, de réintroduire la langue et la culture française par le biais d’un théâtre civique et de qualité. L’objectif du Syndicat Intercommunal sera efficacement secondé par une fonctionnaire pugnace et déterminée, Jeanne Laurent alors sous-secrétaire d’Etat aux Beaux-Arts qui en janvier 1947 installe au théâtre municipal de Colmar, « le seul encore debout dans la région », le Centre Dramatique de l’Est. Après une préfiguration de quelques mois effectuée par Roland Piétri assistant et secrétaire de Jean Anouilh, il est dirigé par André Clavé ancien déporté et issu de la Résistance qui fait siennes les visées du Conseil National de la Résistance.
Au lendemain de la Libération, l’élan démocratique impulsé par le CNR favorise les mouvements d’éducation populaire qui seront un des viviers de l’action théâtrale qui va se mettre en place grâce à Jeanne Laurent qui, de 1945 à 1952, date de son éviction, mettra en place outre le Centre Dramatique de l’Est, ceux de Saint-Étienne, de Toulouse, de l’Ouest à Rennes, celui du Sud-Est à Aix. Leur mission qu’elle qualifiait de « service public », et leur histoire ont fait l’objet de nombreux ouvrages historiques, théoriques. Pour la résumer en deux mots, il s’agissait pour les troupes d’amener le théâtre d’art partout dans la région de leur implantation. « Pendant dix ans, nous avons parcouru les routes, allant de bourgs en villes, transportant dans un seul car, décors, costumes, matériel et comédiens… Tout le monde s’y mettait pour transporter, du car aux coulisses, décors et matériel. Jacques Fabbri nous disait avec une ironie amicale que nous faisions du boy-scoutisme. Il n’y avait pas d’autres moyens de gagner un nouveau public » écrira dans ses Mémoires Jean Dasté fondateur du CDN de Saint-Etienne.
Le souci de rassembler passait avant l’exigence esthétique forcément pénalisée par l’obligation des tournées et la précarité des lieux d’accueil. Dans « Mémoires du Théâtre » série initiée par l’INA et le Ministère de la culture, Hubert Gignoux remarque « Nous n’avons pas fait tout de suite de très bons spectacles » en précisant, « notre première vague de travail a été de faire connaître l’esprit et l’esthétique du Cartel (Jouvet, Dullin, Pitoëff, Baty) ».
Vaincre le repli sur soi
Hubert Gignoux qui avait fait ses premières armes chez les Comédiens Routiers dirigeait le Centre Dramatique de l’Ouest depuis 1949 lorsqu’il fut nommé en 1957 à la tête du Centre Dramatique de l’Est qui avait déménagé à Strasbourg et était devenu la Comédie de l’Est dotée d’une école de comédiens. Sous sa houlette, elle deviendra en 1968 le TNS (Théâtre National de Strasbourg). Colmar devra attendre 2013 et le travail de Guy-Pierre Couleau arrivé en 2008 pour abriter à nouveau un CDN.
« Dans une France clivée comme elle l’est aujourd’hui, l’existence des CDN est d’autant plus nécessaire que nos activités permettent de retisser le lien social. L’art théâtral comme gage de la liberté de pensée et de la démocratie est un des piliers de notre société », estime Guy-Pierre Couleau pour qui, « en ces temps de montée des populismes nous ne devons pas seulement réfléchir à partir de nos territoires mais à l’échelle européenne, nous devons vaincre nos tendances au repli sur soi, nous unir entre artistes pour contribuer à construire une Europe des cultures ». Raison pour laquelle il a tenu à réunir autour de son Festival anniversaire les théâtres publics implantés dans la nouvelle Région du Grand Est. Chacun d’eux, dans cette manifestation qui « se penche sur son passé pour mieux réfléchir à l’avenir », apportera sa pierre aussi bien à la réflexion qu’à la réalisation du programme artistique.
Un anniversaire qui donne à réfléchir et à voir
Outre une exposition autour de la naissance du CDN de Colmar et de la direction d’André Clavé, huit spectacles de facture et gabarit différents seront proposés au public. Vincent Goethals qui termine son mandat à la tête du Théâtre du Peuple de Bussang sera présent avec Cancrelat » de Sam Holcroft, Renaud Herbin du TJP de Strasbourg avec un spectacle de marionnettes La vie des formes , Jean Boillot du CDN de Thionville présentera une performance qu’il a conçue avec la complicité de David Jisse pour la création sonore, Ma langue pèle , Ludovic Lagarde (CDN de Reims) sera présent en compagnie du comédien Laurent Poitrenaux pour une « mise en voix » d’un texte d’Olivier Cadiot, Histoire de la littérature . Il y aura aussi des lectures que feront Michel Didym (CDN de Nancy) : La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès et Stanislas Nordey (TNS) Ce que la vie signifie pour moi de Jack London. Pour sa part le patron de la Comédie de l’Est a concocté pour l’occasion une performance pour actrice et plasticien Tamara et remet à l’affiche Don Juan revient de guerre d’Horváth. « Autant de spectacles qui donnent à penser les temps que nous vivons » précise Guy-Pierre Couleau qui aime à reprendre à son compte la phrase de Louis Jouvet, « Rien de plus futile, de plus faux, de plus vain, rien de plus nécessaire que le théâtre »

Festival 70 ans de la Décentralisation du 28 au 30 septembre à Colmar
Tel 03 89 24 31 78 www.comedie-est.com

Photo Don Juan revient de guerre ©Laurent Schneegans

A propos de l'auteur
Dominique Darzacq
Dominique Darzacq

Journaliste, critique a collaboré notamment à France Inter, Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, TFI. En free lance a collaboré et collabore à divers revues et publications : notamment, Le Journal du Théâtre, Itinéraire, Théâtre Aujourd’hui....

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook