Fauves de Wajdi Mouawad

barbarie versus amour

Fauves de Wajdi Mouawad

Wajdi Mouwad souffle le chaud et le froid ; assister à un de ses spectacles tient du suspens tant il est capable de surprendre. Après la tétralogie du Sang des promesses, en passe de devenir une œuvre mythique, il y a eu des créations très inégales jusqu’à Tous des oiseaux en 2017, bouleversante épopée tragique contemporaine qui pour un peu surpasserait Le Sang des promesses. Si Fauves se situe dans le creux de la vague, on reconnaît pourtant la matière familière du dramaturge, ses thématiques obsessionnelles autour de la famille, de la parentalité, du secret, de l’inceste, des promesses non tenues et de la violence. Et puis, toujours glissé d’une façon ou d’une autre, une évocation du traumatisme de l’enfance dont il garde la douleur au fond du cœur, l’attentat qui sous ses yeux d’enfant a fait exploser un bus à Beyrouth.
Dans Fauves, l’histoire n’en finit pas d’engendrer des ramifications nouvelles. Comme dans Incendies, cela commence chez un notaire d’où part une enquête (une quête) ; un homme, cinéaste, apprend que sa mère qui vient de mourir était bigame, que son père n’est pas son père, et donc que sa sœur n’est pas sa soeur, elle qui va pourtant se suicider croyant aimer son grand-père… On voyage d’Europe en Amérique en passant par la station spatiale de Baïkonour au Kazakhstan où le frère est spationaute. Outre qu’on suit laborieusement le fil du dédale de l’histoire, le metteur en scène fragmente les scènes, en fait rejouer certaines plusieurs fois de suite, parfois en augmentant le nombre de mailles du tricot dramaturgique qui fait progresser l’action de manière microscopique. Cela pour exprimer le ressassement névrotique du cinéaste qui espère purger ses douleurs grâce au cinéma. La scénographie réclame des déplacements de panneaux très longs dont le ballet finit par lasser. Tout est là et pourtant ça ne fonctionne pas vraiment car tout est excessif dans cette histoire qui empile les faits au détriment de l’existence des personnages. Sans doute trop, c’est trop quand il clôt le spectacle avec la scène angélique du spationaute dans l’espace s’adressant à la Terre. Le metteur en scène possède un savoir-faire incontestable et malgré des thématiques passionnantes et des comédiens talentueux le compte n’y est pas. Dommage, mille fois dommage, car il est tout à fait certain que Wajdi Mouawad est un grand dramaturge et un grand metteur en scène capable de créer d’inoubliables spectacles portés par une inspiration homérique.

Fauves, texte et mise en scène Wajdi Mouawad ; avec Ralph Amoussou, Lubna Azabal, Jade Fortineau, Hugues Frenette, Julie Julien, Reina Kakudate, Jérôme Kircher, Norah Krief, Maxime Le Gac Olanié, Gilles Renaud, Yuriy Zavalnyouk ; dramaturgie Charlotte Farcet ; musique originale Paweł Mykietyn ; scénographie Emmanuel Clolus assisté de Sophie Leroux ; lumières Elsa Revol ; son Michel Maurer assisté de Sylvère Caton ; costumes Emmanuelle Thomas assistée d’Isabelle Flosi. Au théâtre de la colline à 19h30 jusqu’au 21 juin 2019. Durée : 4h entracte compris. Résa : 01 44 62 52 52.

© DR

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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