Dracula Lucy’s Dream de Yngvild Aspeli à La Manufature Avignon Off.

Joli combat de part d’ombre et part de lumière caché en l’être féminin.

Dracula Lucy's Dream de Yngvild Aspeli à La Manufature Avignon Off.

Dans son adaptation visuelle du célèbre mythe de Dracula, Yngvild Aspeli prend le parti de librement s’inspirer de l’histoire de Bram Stoker pour s’attacher plus particulièrement à la figure de la femme, se concentrant sur le personnage de Lucy, dans son combat contre son démon intérieur incarné par Dracula, qui représente alors la domination, la dépendance, l’addiction, à une force destructrice. Une métaphore de l’emprise, à la fois forcée et voulue, séductrice et trompeuse.

Le spectacle invite à embarquer dans un voyage intime et psychique, dans cet univers fantasmagorique que Lucy s’est construit, dans lequel elle a plongé et contre lequel elle se bat.

Quelles que soient les différentes versions internationales et les traductions diverses du célèbre roman de Bram Stoker, Dracula (1897), les réécritures ultérieures, islandaises ou pas, du mythe, s’attachent à la fascination universelle pour un anti-héros surnaturel, signe personnel de l’angoisse de la mort, d’un appel désespéré à l’immoralité - désirs enfantins risibles et loufoques.

En l’être, la vie et la mort se côtoient intimement, ange et démon, et celui-ci prend plaisir à vaincre - part bestiale immonde qui aime à se nourrir du vivant et du sang de « sa » victime, elle-même peut-être. Mu par des forces intérieures et intérieures incontrôlables, le choeur de cinq comédiens-marionnettistes s’amuse de l’ici et de l’au-delà, du passage d’une frontière ultime à l’autre, entre l’objet inanimé de la marionnette et l’intermédiaire animé de figure de morte-vivante.

Le vampire est appréhendé sous sa forme masculine, marionnette sombre grandeur nature à la triste figure mélancolique, quelque peu bel héros de roman de gare dont on sent le poids intérieur. Cette figure ténébreuse joue de sa séduction et de son emprise pour soumettre sa victime rousse.

Lucy est une jeune femme vêtue de blanc à la crinière couleur de flamme, arpentant le pourtour du plateau dont l’intérieur est protégé par un rideau de tulle noir transparent. Il lui semble voir - ce que le public contemple aussi réellement, son double marchant comme elle : même silhouette juvénile à la tristesse vague - dans la transversale exacte de ses déplacements précautionneux.

Puis s’éveillent les esprits noirs d’un cauchemar, quand le rideau tiré, laisse découvrir au coeur de la scène Lucy elle-même qu’un drôle de prince charmant de conte noir vient inopinément visiter.
Mouvements et postures amoureuses et embrassements languides jusqu’à ce que le bellâtre ne se penche un peu trop intensément et longuement sur sa victime paisible et passive, prise d’effroi.

Les terreurs nocturnes prennent tout pouvoir, faisant de la belle endormie gisant sur son lit, une proie d’élection aisée - prédilection à toutes les frayeurs dispensées : la peur du monstre en soi.

Le grand art de la manipulatrice et marionnettiste Yngvild Aspeli est de donner à voir le combat existentiel auquel se livrent la part d’ombre et celle de lumière, la mort et la vie distribuées en alternance dans l’intimité sensible de l’être en son tréfonds - conscience ou inconscience.

Personnage interprète vivant ou bien marionnette manipulée : tout dépend du point de vue tangible - de ce côté, figurine et effigie de chiffon, papier et carton ; de l’autre, femme vivante.
Ou il suffit d’une galipette sur le lit, d’un retournement, et la marionnette devient femme. Ou le spectateur assiste à une lutte entre deux vivants ou bien entre deux objets, qui alternent encore d’une condition l’autre, se métamorphosant, changeant d’« être au monde » animé ou inanimé.

Les figures dédoublées depuis l’orée du spectacle deviennent trois mêmes grâces épouvantées.
Oiseaux de proie nocturnes voletant dans les airs, chien de chasse menaçant : le bestiaire de l’imaginaire fantastique est au rendez-vous scénique, à la fois économe et intensément présent.

Un ballet sombre qui enchante et envoûte le public de son beau tableau de mélancolie noire.

Dracula Lucy’s Dream de Yngvild Aspeli / Plexus Polaire, Théâtre, Marionnette, Musique, Vidéo, à partir de 14 ans. Mise en scène Yngvild Aspeli, inspiré de Dracula de Bram Stoker. Avec Kyra Vandenenden, Dominique Cattani, Yejin Choi, Sebastian Moya, Marina Simonova, composition musique Ane Marthe Sorlien Holen, fabrication marionnettes Yngvild Aspeli, Manon Dublanc, Pascale Blaison, Elise Nicod, Sébastien Puech, scénographie Elisabeth Holager Lund, vidéo David Lejard-Ruffet, costumes Benjamin Moreau, lumière Emilie Nguyen, son et vidéo Baptiste Coin, dramaturge Pauline Thimonnier. Du 7 au 24 juillet à 9h30, relâches les 12 et 19 juillet à La Manufacture - Festival d’Avignon Off. Le 2 octobre 2023, Spectaculo Interese, Ostrava, République tchèque. Le 1er décembre 2023, EMC Saint-Michel-sur-Orge. Le 27 mars, Bastia. Avril 2024, April Festival, Danemark. Avril-mai, tournée Canada-Etats-Unis.
Crédit photo : Jerzy Doroszkiewicz.

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Véronique Hotte

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