Du 23 avril au 19 mai 2024 à L’Odéon (Paris 6è) - Théâtre de l’Europe.
Dom Juan de Molière par Macha Makeïeff.
Portrait d’un Dom Juan à la Valmont épinglé dans un dix-huitième tardif.
La metteuse en scène, décoratrice et costumière Macha Makeïeff, explore la figure ardente de l’homme prédateur à travers le Dom Juan de Molière, dans un clair-obscur dix-huitièmiste, un siècle qui révèle la figure du libertin - désir physique et sensualité revendiqués, façon Marquis de Sade. Et fi de ce libre-penseur à la Molière et du Grand siècle qui aime à débattre vivement : il s’agirait plutôt des méandres - postures calculées et portrait en mouvement - d’un Valmont.
La conceptrice met en valeur la transgression nonchalante mais non moins efficiente d’un rustre asocial, satisfait et provocateur, insolent, niant l’autocensure, aimant à se donner en spectacle, faisant de la théâtralité une seconde nature, selon la posture du Grand Seigneur méchant homme.
Xavier Gallais dans le rôle-titre correspond au portrait de Molière de 1658 par le peintre Nicolas Mignard, à la jeunesse corpulente et avantageuse, qui vit au présent de l’instant, cueillant le jour.
L’acteur éminent prend plaisir à ralentir et à distiller le cours patient de ses discours, retardant à souhait la machine infernale qu’il pressent ébranlée vers sa fin tragique. Dom Juan libère en lui une parole profonde, heurtée et indécidable, s’arrêtant pour élucider ses propos et expliquer sa vision : il joue et s’adonne à la représentation de l’acteur dans son personnage, donnant à voir un manipulateur/marionnettiste, selon une palette de gestes baroques épanouis et ostentatoires.
Autour de lui, des temps chorégraphiés, à la manière des danses du XVIII è - silhouettes féminines pour les personnages secondaires, sous la musique de l’artiste lyrique soprano Jeanne-Marie Lévy, soit la présence de libertines dans la demeure de l’Infidèle - Xaverine Lefebvre et Kadidja Kouyaté -, qui jouent par ailleurs les paysannes Charlotte et Mathurine de la comédie classique.
Et pour les figures masculines, un humour distant donne la mesure, un comique bon enfant et cocasse, tels les échanges des frères d’Elvire - Joaquim Fossi qui est aussi le Pauvre et le paysan Pierrot ; et Anthony Moudir qui est aussi Gusman : sans oublier le bourgeois Monsieur Dimanche - burlesque Pascal Ternisien.
Dom Juan s’incarne avec bonheur dans le reflet de son valet et compère Sganarelle (Vincent Winterhalter), à la fois plein d’allant et sur ses gardes, insolent et sur la réserve : le valet poli retient l’attention du public, suscitant l’intérêt par son verbe pertinent sur la vérité trouble du Maître, entre fascination et déception pour une figure géniale mais dangereuse, qui n’en fait qu’à sa tête.
La dimension dramatique et tragique s’impose avec Dom Louis - Pascal Ternisien encore, solennel -, et la Statue du Commandeur, interprétée, tel un destin significatif, par la danseuse libertine préalable et la bouffonne Charlotte, à qui Dom Juan ment effrontément, qu’il trompe ouvertement. L’épouse trahie Elvire ; Irina Solano bienséante et digne, porte la voix de la raison - sagesse et sens de la vie -, consciente de sa fragilité émotive face à l’intrus mais dominant son amour bafoué.
Soit le dérèglement démasqué d’un personnage destructeur, irrespectueux en général, et de la gente féminine en particulier, que la société ne saurait plus tolérer - l’individu contre la collectivité, l’homme face aux femmes, quelles qu’elles soient, grandes dames et surtout, femmes du peuple : séduction facile pour lui, et emprise pesante pour elles.
Mais le regard du XXI ème change enfin la donne : les femmes se libèrent, apprenant à ne plus accepter l’inacceptable, à le réfuter, et face au silence du pervers, elles s’arrogent le droit de dire, faisant de la parole une cuirasse invincible.
Pour décor, un intérieur de repli, une demeure close de villégiature, jadis princière ou de grande bourgeoisie, dont on perçoit la majesté ancienne, les lambris précieux, les grandes fenêtres et les miroirs accrochés. Avec la présence mondaine de la musique et de la danse des libertines - lointain rappel du lyrique. Avec aussi, des marques de désuétude et d’abandon, telle la chambre négligée du séducteur qui brûle la chandelle par les deux bouts, usant son propre corps et une pensée tendue de trop de frénésie, vivant intensément le désordre et l’incohérence existentielle.
Une mise en scène paysage, la fresque d’une époque qui s’éteint, dans laquelle le monstre philosophe et séducteur se moquant des femmes, des hommes et de toute croyance, rugit d’aise, sourire aux lèvres, face à ses détracteurs, et s’épanche pour ses derniers feux incandescents.
Dom Juan de Molière, mise en scène, décor et costumes Macha Makeïeff. Avec Anthony Moudir, Irina Solano, Jeanne-Marie Lévy, Joaquim Fossi, Khadija Kouyaté, Pascal Ternisien,
Vincent Winterhalter, la mezzo-soprano Xaverine Lefebvre et Xavier Gallais. Lumière
Jean Bellorini, son Sébastien Trouvé, maquillages et perruques Cécile Kretschmar, mouvement Guillaume Siard, toile peinte (clavecin) Félix Deschamps Mak. Du 23 avril au 19 mai 2024, du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h, relâche le lundi et le mercredi 1er mai, à L’Odéon - Théâtre de l’Europe - Paris 6ème.
Crédit photo : Juliette Parisot.