Cours classique d’après Yves Ravey
Procès à huis clos
Derrière les murs de cette école d’enseignement, qui de classique n’a que le nom, il se passe de drôles de choses. Ce qui aurait dû être un simple fait divers, une blague de potache, vire à la tragédie grâce au zèle névrotique du censeur des études, qui n’a pas volé son titre ; il va s’employer à instruire lui-même une enquête avec une minutie et un rigorisme inquiétants. Les faits prêteraient à rire s’il ne fallait en pleurer. Lors d’une séance de piscine, les élèves se sont moqués de la tenue de leur professeur d’anglais ; Monsieur Pipota dont le nom déjà prête le flanc aux moqueries, est sorti des vestiaires la serviette nouée en pagne autour de la taille et la tête coiffée d’un bonnet de bain rouge, tout ce qu’il y a de plus de réglementaire. Deux d’entre eux sont allés trop loin en essayant de faire boire la tasse au professeur sous les quolibets des copains. Un comportement qui mérite sanction, certes, tout au plus une heure de colle, vraiment tout au plus, comme le pensait leur gentil professeur d’acquisition des savoirs (titre ronflant et creux) persuadé que l’anecdote n’était pas une affaire d’État. C’était compter sans l’acharnement du censeur, incarné à la perfection par Philippe Duclos ; d’un ton doucereux, avec un petit sourire figé et glaçant, il distille son venin, impavide, telle la justice en marche, humilie élèves et enseignants sous ses sarcasmes, traque les coupables qui changent de camp au fil de son investigation, laisse tomber son couperet avec une jubilation perverse. Sûr de lui, au fil d’une démonstration d’une rhétorique saisissante autant qu’absurde, il exerce son pouvoir hiérarchique en toute impunité au nom de sa mission éducative, de la rigueur morale et de la réputation de l’établissement. Face à lui, le professeur d’acquisition des savoirs reste médusé, incapable de réagir ; Grégoire Oestermann, avec sa dégaine de soixante-huitard fatigué, exprime parfaitement l’ambivalence du personnage dont la bonhomie inspire d’abord de la sympathie mais dont la bienveillance apparaît finalement comme une lâcheté qui le conduira au pire, malgré une ultime et piètre tentative de dire ses quatre vérités au censeur, figure évidente de l’oppresseur.
Adapté par Sandrine Lanno et Joël Jouanneau du roman de Yves Ravey, la mise en scène braque ses projecteurs sur le dialogue entre les deux protagonistes, ménage des arrière-plans avec des scènes en voix off et investit le public du rôle des élèves ou des membres de la commission d’enquête. Soulignons l’ingéniosité de la scénographie de Camille Rosa ; l’espace de la classe représenté par un bureau ordinaire posé sur un sol de lino bleu avec à l’arrière un couloir en carrelages multicolores et deux portes, et puis, sans changement aucun, si ce n’est un accessoire brusquement apparu, qui ferait fonction de pièce à conviction, l’espace de la classe devient… la piscine, avec son eau bleue, la porte des vestiaires et l’allée carrelée. Étonnant !
Au-delà de l’anecdote, le spectacle, glaçant et très drôle, entre comédie, polar et tragédie, pose la question de l’exercice exorbitant du pouvoir conféré par une position hiérarchique mais, en contrepoint, il est aussi question de l’attitude par rapport à ce pouvoir. Les élèves sont coupables de leurs actes, le professeur d’anglais peut-être aussi d’une certaine manière, les éducateurs en présence de même, mais celui qui se tait devant la violence, quelle qu’elle soit, n’est-il pas le plus coupable de tous ?
Cours classique, d’après le roman d’Yves Ravey, adaptation de Sandrine Lanno et Joël Jouanneau, mise en scène Sandrine Lanno. Avec Philippe Duclos et Grégoire Oestermann. Scénographie Camille Rosa ; lumière, Dominique Bruguière costumes, Nathalie Pallandre ; musique et son, Fanny Martin. Au théâtre du Rond-point du mardi au samedi à 21h, dimanche à 15h30. Durée : 1h40.
© Giovanni Cittadini Cesi