A la MAC- Créteil le 5 mars 2025 et en tournée.
Black Label de David Bobbée & JoeyStarr
Comment contrer encore et toujours les racismes.

Rappelons la célèbre opinion d’Aristote sur les peuples « naturellement » destinés à l’esclavage, car cette opinion de nature « politique » est en contradiction avec son oeuvre « naturaliste », qui ne distingue pas entre les hommes, et précisément pas entre les « races » : les différences biologiques relèvent de la « matière », pas de la « forme » qui prédestine l’homme à être le chef-d’oeuvre de la nature. Or, l’analyste doit trouver une fonction naturelle à l’esclavagisme. La perte de la dignité que subit l’esclave n’est pas la seule ; pour Aristote, aussi bien l’enfant, être transitoire, que la femme, être véhiculaire, si l’on ose dire, sont de dignité moindre dans l’espèce humaine, tout en étant, eux aussi, nécessaires. En laissant de côté le « racisme anti-femme », la tentation du futur racisme sera de justifier, par la « servilité », l’asservissement d’autres catégories de l’espèce - barbares pour les Grecs, Infidèles, païens pour les monothéistes -, puis de prétendre expliquer scientifiquement cette « réalité » empirique. (Dictionnaire culturel de la langue Française, Alain Ray, Le Robert). De quoi méditer toujours sur le racisme.
Les plus grands écrits de la poésie antiraciste sont saisis en 2025 par le spectacle Black Label - inspiré de l’oeuvre poétique éponyme (1956) de Léon-Gontran Damas-, conçu par l’acteur et rappeur JoeyStarr, le metteur en scène David Bobée - directeur du Théâtre du Nord à Lille -, la chanteuse Noëmi Saint-Aimé, le contrebassiste Wilbur Thompson, le chanteur et danseur Nicolas Moumbounou et le chansigneur Jules Turlet. Une traversée de la littérature, de l’Histoire et du monde au travers des diasporas africaines ; des écrits afro-descendants jusqu’à « Black Lives Matters » aujourd’hui.
Amoureux des mots, porte-voix de la périphérie et de la contre-culture, JoeyStarr met sa force et sa voix rocailleuse au service de textes célébrant une histoire du courage et de la colère de ceux qui luttent pour l’égalité réelle.
Un spectacle littéraire, musical et chorégraphique, trans-disciplinaire, pour que les textes anti-racistes d’hier et d’aujourd’hui résonnent dans nos corps.
Une exploration de la littérature et la musique - chants, mélodies, instruments à cordes, percussions -, et de la danse, provoquant l’intérêt du public intrigué par la beauté sombre d’une scène vaste et repliée dans l’ombre, à la nudité relative que les lumières dévoilent subtilement : les interprètes sont vêtus sobrement et élégamment de noir, et sur le mur du lointain, un grand écran donne à voir les images d’archives et d’événements de l’Histoire des Noirs.
Nous ne citons pas tous les textes évoqués, d’Aimé Césaire à Lyonel Trouillot, de James Baldwin à Malcolm X, d’Eva Doumbia à Lisette Lombé, de David Diop à Roger Robinson … Si ce n’est l’assurance philosophique et poétique du début du spectacle, à travers La Charte du Mendan de Sundjata Keita, rédigée au Mali en 1222, au nom des chasseurs, pêcheurs et cueilleurs. Ce sermon rend hommage à l’existence, quelle qu’elle soit, dont l’éloge n’impose nulle distinction de couleur, d’origine, de religion - manifeste significatif d’une belle prose existentielle d’un XIII è siècle éclairé : une série d’articles qui font référence aux droits humains sacrés et inaliénables.
Nicolas Moumbounou danse avec une grâce silencieuse, étirant avec douceur ses bras tendus en l’air, répliquant esthétiquement à la langue des signes - gestuelle de Jules Turlet-, tandis que la voix claire et aérienne de Noëmi Saint-Aimé envoûte les spectateurs, subjugués par ses chants.
Les mots sont scandés et lancés par la force tranquille de JoeyStarr - son style un rien pitbull qu’il affectionne et dont il joue avec humour et distance, face à la salle devant laquelle il semble grogner et renâcler -Nègres, Nègres, chancres et poux, cancres et fous… : la parole lancée et bien balancée est déterminée, puissante et percutante ; les spectateurs acquiescent d’emblée.
La fin du spectacle est moins convaincante, manichéenne et démagogique, qui s’attache à répertorier tous les jeunes gens noirs - nombreux - et tués systématiquement par les forces de police : « Qui sera le prochain ? » Des effigies de carton noir, des reprises des silhouettes gisantes sur le sol, dessinées à la craie blanche, comme remises debout et à la verticale.
Tant de morts subies à réhabiliter, à ne pas oublier, foule scénique réinstallée.
De très beaux moments de revendication intense - déclamation, musique et danse.
Black Label, conception et mise en scène de David Bobée & JoeyStarr, avec les textes d’Elemawusi Agbedjidji, James Baldwin, Gérald Bloncourt, Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas, Julien Delmaire, Souleymane Diamanka, David Diop, Éva Doumbia, Langston Hughes, George Jackson, JoeyStarr, Sundjata Keita, Kiyémis, Lisette Lombé, Marc-Alexandre Oho Bambe, Roger Robinson, Sonny Rupaire, Tracy K. Smith, Assa Traoré, Lyonel Trouillot, Malcom X. Conseil littéraire Didier Boudet, scénographie David Bobée et Léa Jézéquel, décor Les ateliers du Théâtre du Nord, lumières Stéphane Babi Aubert, création musicale Sélène Saint-Aimé, Jean-Noël Françoise, vidéo Wojtek Doroszuk, costumes Mayuko Bobée, Avec sur scène, JoeyStarr, Nicolas Moumbounou, Noëmi Saint-Aimé, Wilbur Thompson et Jules Turlet. Spectacle vu le 5 mars à la MAC Créteil. Le 11 mars 2025 au Carreau, scène nationale, Forbach. Du 15 au 22 mars 2025 au Théâtre du Nord, Lille. Le 27 mars 2025 à l’Equinoxe scène nationale, Châteauroux. Le 31 mars 2025 à la Maison de la Culture d’Amiens. Le 4 avril 2025 au Théâtre de Choisy-le-Roi. Le 10 mai 2025 à La Villette, Paris.
Crédit photo : Arnaud Bertereau



