Bergman - Après la répétition et Persona - par Ivo van Hove au TDV - Sarah Bernhardt.
Entre théâtre et cinéma, un diptyque approximatif.
L’art et la vie se confondent surtout quand on fraie avec le monde du théâtre ou du cinéma - qu’on soit scénariste, metteur en scène, dramaturge, acteur, actrice - et qu’on soit le créateur suédois prodigieux Ingmar Bergman (1918-2007). Voilà qui attire depuis longtemps Ivo van Hove, le metteur en scène et scénariste néerlandais de renommée internationale qui réunit sous forme de diptyque deux films du maître suédois Après la répétition et Persona. Une adaptation avec Charles Berling et Emmanuelle Bercot qui succède à une première création, il y a dix ans, dotée d’une distribution néerlandaise, pour un regard désabusé et tendre sur un monde précis et significatif.
Dans Après la répétition, « une sincère tentative d’être sincère », que Bergman a réalisée en 1984 pour la télévision, Henrik Vogler (Charles Berling), metteur en scène vieillissant ne vit que pour et par la passion théâtrale. Celui-ci ressent une profonde attirance pour ses deux comédiennes : l’une est jeune et passionnée - Anna (Justine Bachelet) -, l’autre est d’âge mur et rongée par l’alcool - Rakel (Emmanuelle Bercot). Toutes deux, à leur façon, sont impulsives et entières, le temps ne faisant qu’inscrire sa loi dans ces destins qui auraient maille à partir aujourd’hui avec #metoo, tant les actrices dépendent du créateur mâle, à la fois dieu et homme sur les planches.
Toujours est-il que par ailleurs Bergman a avoué avoir deux maîtres, August Strindberg et Hjalmar Bergman, dramaturge du même nom, scénariste et romancier d’une génération précédente (1883-1931) : Après la répétition fait référence à la répétition d’une pièce du premier, Le Songe.
Bergman doutait de ses capacités littéraires, et cette faiblesse lui a fermé les portes des romans et nouvelles, du théâtre encore, ne lui laissant que la possibilité du cinéma car seules les images ont la capacité de faire mouche, de se déployer librement dans les arcanes de lumière du 7ème art.
Et le créateur a toujours exercé une fascination - un leitmotiv - pour le concept du double et de l’attrait du visage qui trouve dans Persona au cinéma en 1966 son accomplissement avec les mythiques Bibi Andersson et Liv Ullmann. Emblématiques prises de visage en gros plan cadrées et déformées : la vision est reprise par Ivo van Hove mais avec les corps - corps en étude d’anatomie sur une table de dissection, corps performants dans un espace aquatique ou les deux interprètes - les mêmes d’Après la répétition - se traînent en reptation dans l’eau, inondées, réduites à personne, ayant perdu leur humanité, devenues monstrueuses avant de mieux renaître peut-être.
Elizabeth Vogler, célèbre actrice de théâtre, est devenue aphasique : elle se repose au bord de la mer, en compagnie d’Alma, jeune infirmière ; la seconde se confie d’autant que la première impose le silence. Or, quand celle-ci découvre le double jeu d’Alma près du médecin, tout est remis en jeu.
La scénographie et la lumière de Jan Versweyveld sont comme d’habitude chez l’esthète Ivo von Hove, minutieuses et évocatrices : d’un côté, la nudité d’une salle de répétitions avec ses quelques sièges « historiques » des créations précédentes ; et de l’autre, la proximité de la mer avec ses vagues à fleur de sable, que les deux femmes arpentent, allongées dans l’eau - performance. La conception sonore de Roeland Fernhout ajoute au sentiment sourd et ineffable d’étrangeté surtout lorsque la psychiatre (Elizabeth Mazev à contre-emploi) pose son diagnostic commenté et froid.
Dans la salle du Théâtre de la Ville - Sarah Bernhardt -, les images sont magnifiques, par-delà la sensation éprouvée d’une intériorité bergmanienne approximative - état d’âme, doute, peur, souffrance -, trop appuyée ou paradoxalement montrée et de ce fait, annihilée sur la scène de théâtre « à ciel ouvert » - une vue décalée aux dimensions inappropriées. Les micros personnels des interprètes posent artificiellement les voix, privilégiant les effets du cinéma et laissant tomber la résonance intime et l’écho implicite de la scène qui sait ménager l’art du non-dit et du double.
Ce Bergman est une ouverture juste à l’oeuvre cinématographique du maître, sans en dégager les mystères ni les énigmes, les secrets et les arcanes du jeu existentiel - théâtre ou/et vie -, jeu composé ou/et sentiment instinctif, une mise à distance qui fait longtemps sens et son en soi.
Bergman Ivo van Hove - Après la répétition/ Persona, texte Ingmar Bergman, mise en scène Ivo van Hove, dramaturgie Peter von Kraaij, traduction Daniel Loayza, scénographie et lumière Jan Versweyveld, conception sonore Roeland Fernhout, costumes An D’Huys. Avec Emmanuelle Bercot, Charles Berling, Justine Bachelet, Elizabeth Mazev. Du 6 au 24 novembre 20h, samedi 11 novembre 15h (relâche les 12 et 19) au Théâtre de la Ville - TDV- Sarah Bernhardt, 2 place du Châtelet - 75004 Paris. Tél : 01 42 74 22 77. theatredelaville-paris.com Les 6 et 7 décembre, Point communs - nouvelle scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise, Cergy. Les 22 et 23 mars 2024, La Filature - Scène nationale de Mulhouse. Les 11 et 12 avril, MC2 : Grenoble. Les 16 et 17 mai, Le Volcan - Scène nationale du Havre.