Bérénice, Jean Racine
Tristesse des passions
En 2011, Muriel Mayette-Holtz a mis en scène Bérénice à la Comédie-Française ; en 2008, Carole Bouquet a interprété le rôle de cette reine de Palestine sous la direction de Lambert Wilson. Les voilà réunies dans cette pièce de Racine. La metteuse en scène a choisi de privilégier la tragique histoire d’amour qui unit et oppose les trois personnages en élaguant le contexte historique repoussé à l’arrière-plan. Ces coupes sont habilement faites, cependant il aurait été judicieux d’en avertir les spectateurs.
Donc un triangle amoureux.
L’hymen de Titus et Bérénice est empêché par la raison d’état tandis qu’Antiochus, ami de Titus, brûle d’une passion secrète pour la reine qu’il doit raccompagner dans ses terres avec ordre de veiller sur elle. Sa situation infernale de double-confident ne manquera pas d’exploser.
Le cadre choisi pour cette version moderne est une chambre d’hôtel impersonnelle et vilaine, malgré l’allusion scénographique au peintre Edward Hopper, qui évoque davantage un hôtel Ibis que le bel appartement où Titus a installé Bérénice. Le tapis sonore insipide accuse l’ambiance série B. Choix étrange, presque une offense à ce texte sublime.
Heureusement, le talent des comédiens rend à la pièce les honneurs qu’elle mérite. Si Carole Bouquet ne parvient pas vraiment à investir son personnage, à intérioriser la douleur, sa stature hiératique et son port majestueux sont bien ceux d’une reine. Titus, grâce à l’interprétation vibrante de Frédéric de Goldfiem, assume tout ensemble et son amour et sa lâcheté coupable. Il ne consentira pas à renoncer à sa gloire pour la femme qu’il aime et qu’il ne peut épouser car elle est étrangère ; un tel mariage serait contraire à la loi romaine. Mais il ne joue pas de sa position. Tout son corps dit l’accablement du cœur. Il ose exprimer en sourdine sa douleur, son émotion, loin d’une pseudo-posture royale. Ainsi le comédien révèle la face cachée du roi. En contrepoint, Antiochius, formidable Jacky Ido, se montre dans toute sa souffrance qu’il fait taire en présence de Titus et Bérénice, jusqu’à l’aveu final qui clôt la pièce d’un définitif « hélas ! », preuve de l’impuissance qui entrave l’action. Chacun à leur tour, les protagonistes envisagent le suicide et cela finira par une séparation.
Tout secondaires qu’ils soient, les rôles des confidents Phénice et Paulin prennent un beau relief grâce au talent d’Eve Pereur et d’Augustin Bouchacourt qui loin de se contenter de donner le change, proposent un véritable point de vue et donne de la densité à leur personnage.
Racine a écrit cette pièce à l’occasion d’une querelle avec Corneille. Il voulait démontrer à son rival que « l’invention consiste à faire quelque chose de rien […] une action simple, soutenue de la violence des passions, de la beauté des sentiments et de l’élégance de l’expression ». Le dramaturge a réussi son pari. Bérénice est peut-être la plus belle tragédie de Racine. Il faut louer les comédiens qui ont le talent d’en transmettre tous les miroitements.
Bérénice, Jean Racine. Mise en scène Muriel Mayette-Holtz. Avec Carole Bouquet, Frédéric de Goldfiem, Jacky Ido, Eve Pereur, Augustin Bouchacourt. Décor et costumes, Rudy Sabounghi. Musique originale, Cyril Giroux. Paris, La Scala jusqu’au 12 octobre 2022 à 21h15. Durée : 1h25. Tél : 01 40 03 44 30.
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© Sophie Boulet