Azor par la compagnie Quand on est trois
Opérette policière seventies
Stéphan Druet est un artiste éclectique aux multiples talents. Il s’est fait connaître avec l’opérette de Maurice Yvain Ta bouche (2004) à l’occasion de sa collaboration avec la compagnie Les Brigands et avec l’opéra Les contes d’Hoffmann (2008) co-mis en scène avec Julie Depardieu en plein air au parc de Sceaux. Mais il a aussi animé de ses spectacles le festival estival Nuits d’été de l’hôtel Gouthière ; en 2010, pour le bicentenaire de l’Argentine (où il était allé travailler avec des artistes de Buenos Aires), il a proposé un spectacle avec des comédiens argentins dont l’excellent Sebastian Galeota qui participe à Berlin Kabarett, mis en scène par Stéphan Druet au Théâtre de Poche, un vif succès depuis 2017. Au Poche encore, dans un tout autre genre, il a mis en scène L’Histoire du soldat de Ramuz et Stravinsky, un orchestre dans un mouchoir de poche avec Claude Aufaure dans le rôle du récitant (prix Laurent Terzieff décerné par la critique en 2017, molière du meilleur spectacle musical en 2018).
Il cultive les liens entre théâtre, musique et danse dans des registres très différents. Avec Azor, il revient à l’opérette des années 1930 (livret Raoul Praxy, Eddy Max, Albert Willemetz ; composition Gaston Gabaroche, auteur de nombreuses chansons à succès, Fred Pearly et Claude Chagnon). Dans le droit fil de Ta bouche et Ah la la oui, oui (2015), conçu par la même équipe (Emmanuelle Goizé, Gilles Bugeaud et Pierre Méchanick Stephan Druet), le spectacle, entre opérette, comédie musicale et Feydeau de café-théâtre, est fidèle à l’esprit d’origine tout en lui donnant un fameux coup de jeune. Emmanuel Bex, à la direction musicale et à l’orgue Hammond, y contribue grandement ; il remplace l’orchestre par un trio orgue, percussion, guitare qui assure le tempo du spectacle et glisse des références musicales anachroniques, dont une évocation de Clo Clo et ses clodettes assez irrésistible.
Sous couvert de comédie légère, cela sent son entre-deux-guerres ; les Années folles sont passées et en ces années 1930 pointent des relents de nationalisme, des « quelle époque mon bon monsieur, c’était mieux avant ! », qui annoncent des heures sombres et résonnent méchamment à nos oreilles aujourd’hui. Mais les années 1930, c’est aussi la déferlante joyeuse du jazz, musique de nègres pour certains, renouveau salutaire pour d’autres.
Dans un commissariat de police de quartier qui « héberge » régulièrement des dames légères ramassées par le panier à salade, le commissaire, surnommé Azor à son insu (le nom de son chien), est un olibrius rêveur et naïf qui compose des vers plutôt que de traquer le voyou. Amoureux d’une jeune inconnue qui se révélera être la fille du ministre de la Justice, poursuivi par une femme mariée dont le mari ne lui veut pas que du bien, il en pince un peu pour Clo Clo la panthère qui l’aime bien mais est la poule du truand Robert Favier, dit kiki la frisette (Julien Alluguette qu’on a pu voir dans le rôle du soldat de L’Histoire du soldat). Azor va se retrouver à jouer les monte-en-l’air dans la petite bande d’arsouilles, pris au piège de la réception donnée par le ministre où sévissent en douceur les kleptomanes de métier dont un prestidigitateur véritable censé ouvrir les coffres-forts. La joyeuse sarabande finit par un bal costumé psychédélique façon seventies sur une musique pop d’un grand cru. Tous les artistes sont comédiens, chanteurs, danseurs, et exercent brillamment toutes ces disciplines. Les airs sont formidablement chantés, et les chorégraphies de Alma de Villalobos réglées au poil. La scénographie d’Emmanuelle Goizé est dynamique et très inventive. La mise en scène use volontiers du numéro d’acteur façon café théâtre et tout passe avec énergie et bonne humeur. C’est un spectacle cent mille volts, étourdissant, coloré, d’une virtuosité inouïe qui se permet tous les excès avec talent. Absolument réjouissant et nécessaire en ces périodes de fête pour regonfler le moral.
Azor musique Gaston Gabaroche, Pierre Chagnon, Fred Pearly ; livret Albert Willemetz, Max Eddy, Raoul Praxy ; conception Emmanuelle Goizé, Gilles Bugeaud, Pierre Méchanick ; mise en scène Stéphan Druet ; direction musicale et arrangements Emmanuel Bex ; avec Julien Alluguette, Gilles Bugeaud, Fanny Fourquez, Pauline Gardel, Quentin Gibelin, Emmanuelle Goizé, Estelle Kaïque, Pierre Méchanick ; guitare Antonin Fresson ; batterie Tristan Bex ; orgue Hammond Emmanuel Bex
; chorégraphie Alma de Villalobos ; lumière Christelle Toussine ; scénographie Emmanuelle Goizé ; costumes, Denis Evrard. Au théâtre de l’Athénée à 20h jusqu’au 13 janvier 2019. Durée : 1h50. Résa : 01 53 05 19 19.
© Nicolas Spanoudis