Nos paysages mineurs de Marc Laîné

Un parfum de Nouvelle vague

Nos paysages mineurs de Marc Laîné

On prédit sept ans de malheur à celui qui casse un miroir en relation, dit-on, avec la durée d’un cycle de vie. Sept ans une durée fatidique à dépasser pour les couples qui, paraît-il se séparent souvent à l’orée de cette échéance. C’est ce qui arrive à Liliane Desmest et Paul Langlois. Ils font connaissance dans un compartiment de train de seconde classe, dans les années 1960. Elle va voir ses parents à St Quentin, petite ville de province où il est prof de philo dans le lycée même où elle a passé son bac. Une histoire ordinaire, sans aucun doute racontée par Marc Laîné sur un mode original. Pas de récit linéaire mais sept séquences échelonnées entre 1969 et 1975, à raison d’une par an, sept étapes de vie. Elle, issue d’un milieu ouvrier, bousculée par des conditions sociales difficiles, souffre d’un complexe de classe, lui est philosophe, écrivain, affreusement mondain. Il se moquera de son militantisme maoïste et féministe, comme il se doit en ces années 1970 et ne pense qu’au Prix Renaudot qu’on lui a décerné et au livre qui parle de leur histoire et lui rapporte beaucoup de succès.. La lutte des classes version conjugale. Une histoire ordinaire donc, qui raconte le temps d’avant. En filigrane du récit, la question du temps irrigue le spectacle, celui qui passe, qu’on laisse passer, qu’on ne rattrape jamais. Le voyage en train est par excellence un temps suspendu, pas une parenthèse mais un suspens où l’esprit, libéré de la trépidation routinière, peut se faire contemplatif, rêveur devant le spectacle hypnotique des paysages qui défilent.
Le dispositif scénique instaure trois plans distincts. A jardin, plan large sur une très belle maquette où un train électrique aux fenêtres éclairées dans la nuit tourne en rond comme l’histoire de Liliane et Paul. Au-dessus, un écran où l’on voit les personnages tour à tour en gros plan. A cour, plan moyen sur un compartiment de train de seconde classe des années 1970, au fond derrière la vitre sale, le plat pays est avalé par la vitesse. A l’avant-scène, un rail, guide de la caméra qui tourne le film de ces séquences ferroviaires. Dans la pénombre, le chef de gare téléguide la caméra, tandis qu’au violoncelle, Vincent Segal accompagne ces paysages mineurs d’une belle partition mélancolique.
Sous les traits d’Adeline Guillois, Liliane, d’une tristesse infinie, a des airs et des colères, à la Clémentine Autain face à la suffisance grossière de Paul, excellent Vladislav Galard. Les deux comédiens impriment de belles vibrations à ce spectacle qui dégage un parfum de Nouvelle vague, quelque part entre Godard et Rohmer, voir Butor, si l’on songe à La Modification. Ainsi s’achève ces Paysages mineurs : « La vraie vie a lieu quand, seuls, à peine conscients de nous-mêmes, nous laissons notre regard se perdre dans la contemplation de paysages quelconques. De « paysage mineurs », avait-il dit. Je souris en repensant à cette formule. Le train redémarra et, laissant la petite ville de briques derrière lui, repris sa course à travers champs. Les rayons de soleil illuminèrent encore un instant le compartiment avant que ce dernier ne se retrouve plongé dans une douce pénombre de fin d’après-midi. Alors la poussière sur la vitre ne fut à nouveau, simplement, que de la poussière sur une vitre. »

Nos paysages mineurs, texte, mise en scène et scénographie de Marc Laîné. Avec Adeline Guillot, Vladislav Galard, Vincent Segal. A Paris, au théâtre 14 jusqu’au 12 décembre 2021. Durée : 1h10.
© Simon Gosselin

Du 17 au 20 janvier 2022 à la Comédie de Valence
Du 7 au 10 avril 2022 à La Filature à Mulhouse

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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