Paris – Théâtre Marigny Robert Hossein jusqu’au 7 octobre 2009

Partage de midi de Paul Claudel

Le couronnement de Marina

Partage de midi de Paul Claudel

Ce qui vient de se passer à la Comédie Française tient de l’exceptionnel : le sacre d’une comédienne comme on en découvre une fois par génération. Marina Hands, récemment célébrée au cinéma par un César de la meilleure actrice pour son interprétation de Lady Chatterley dans le beau film éponyme de Pascale Ferran, se révèle étourdissante dans le rôle d’Ysé du Partage de midi de Paul Claudel. Présence rayonnante, perfection du phrasé, spontanéité de jeu, beauté habitée : on n’avait plus connu ce choc depuis longtemps.

Dans la salle, l’émotion est palpable. Il y a du souvenir dans l’air…Il y a 32 ans, sur cette même scène du Français, une actrice tout aussi lumineuse projetait le même personnage dans les annales des légendes : Ludmila Mikaël, en était l’héroïne dans une mise en scène d’Antoine Vitez, des décors et costumes de Yannis Kokkos. Ses partenaires étaient Patrice Kerbrat, Michel Aumont, et, mais oui, Jérôme Deschamps qui n’avait pas encore inventé les Deschiens… Deux ans plus tard, Ludmila Mikaël mettait au monde une petite Marina, fille du metteur en scène anglais Terry Hands, directeur de la RSC (Royal Shakespeare Company), invité par la maison de Molière pour y monter Shakespeare.

On pourra dire qu’elle est tombée dans la marmite, la petite Marina ! Mais on sait bien que, hors des clichés, rien n’est aussi simple. L’enfant Hands-Mikaël fit ses classes comme tout apprentie comédienne. Le métier démarra au grand jour quand Patrice Chéreau en fit une Aricie altière dans la Phèdre qu’il mit en scène aux Ateliers Berthier de l’Odéon. Le cinéma vint se greffer sur ce premier succès. Puis la Comédie-Française, suivit à la manière d’un domicile naturel.

La rédemption par l’amour, éternelle équation des amants

A la voir si fraîche, si engagée on pourrait croire qu’Ysé l’attendait. D’autres la précédèrent cependant et pas des moindres. Car Ysé agit comme un aimant sur les actrices, tragédiennes ou comédiennes. Elle est toutes les femmes. Coquette, séductrice, frivole au premier acte sur le pont de ce bateau qui l’emmène nantie de son mari et de ses deux enfants vers une Chine inconnue. Dix ans de mariage, une pesanteur, le besoin de se rassurer auprès d’autres hommes : Amalric, l’homme d’affaires sûr de lui et Mesa, le diplomate introverti qui l’accompagnent dans cette traversée du destin. Femelle enflammée au deuxième acte, brûlante de désir pour ce Mesa qui l’a prise de vertige et auquel elle ne peut résister. Madone transfigurée par les souffrances et l’amour, quand, réfugiée auprès d’Amalric dans les fracas d’une Chine en insurrection, elle rejoint l’être aimé « dans la splendeur de l’août » et «  la transfiguration de midi ». La rédemption par l’amour, la rédemption par la mort, éternelle équation des amants mythiques, Roméo, Tristan… la passion fusionnelle aboutit immanquablement à la mort. Et pour Claudel, le catholique, Dieu est au bout du chemin.

Un Wagner où les syllabes se seraient substituées aux notes

C’est un bout de sa propre histoire que le poète, alors consul de France en Chine, projette à l’âge de 37 ans, dans le récit de l’impossible amour qui le lia à Rosalie Vetch. Une liaison adultère qui, comme dans la pièce, donna naissance à un enfant. Ecrite en 1906, l’oeuvre ne vit le jour qu’en 1948 dans une mise en scène de Jean-Louis Barrault, grand défenseur claudélien dont il créa entre autres Le Soulier de Satin. Edwige Feuillère était Ysé, il était Mesa. Des acteurs capables de se mettre en bouche la lave incandescente de la prose claudélienne si spécifique. Elle est langue de théâtre. Son théâtre est théâtre de texte. Et son texte est musique. Un Wagner où les syllabes se seraient substituées aux notes. Pas de non-dits, tout est exprimé, comme dans ce Rhône en crue qu’il chanta comme une messe.

Faire entendre ces mots relève toujours du défi. Un défi que relèvent aujourd’hui Marina Hands, Eric Ruf et Hervé Pierre et dans la mise en scène sobre et juste de Yves Beaunesne, l’homme qui aime les grands espaces de langage de Tourgueniev à Maeterlinck et qui sait, sur un paquebot de poésie, mener à bon port les comédiens qu’il dirige. D’Ysé/Marina il a fait une flamme qui danse au vent des sensations, de Mesa/Eric Ruf une braise qui devient lumière, d’Amalric/Hervé Pierre un roc glissant, poli par les intempéries. Seul Christian Gonon en de Ciz effacé reste en recul. Il est vrai que le rôle de mari distrait et cocu demande un peu cela.

Des cordages et lignes obliques, des voiles qui éclosent ou se font balançoire : le décor du premier acte est bien à l’image de la situation, des grands spots descendent des cintres pour éclairer à ras de sol des parcelles figurant le cimetière chinois du deuxième acte - effets inattendus mais efficaces – enfin en fond de scène, pour le troisième acte, les reliefs du baraquement de fortune d’Amalric, et à l’avant, le rappel de la traversée qui mène le couple vers la lumière. Les décors de Damien Caille-Perret servent le spectacle sans s’imposer. Les amoureux de Claudel sont à la fête.

Partage de midi de Paul Claudel, mise en scène Yves Beaunesne, décors Damien-Caille Perret, costumes Patrice Cauchetier, lumières Eric Soyer. Avec Marina Hands, Eric Ruf, Hervé Pierre, Christian Gonon. Au théâtre Marigny Robert Hossein jusqu’au 3 octobre 2009. Durée : 2 heures.
TEL.0 892 222 333

Cet article a été rédigé dans le cadre d’une précédente représentation à la Comédie française.

Crédit photos : Guy Delahaye.

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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