La troisième nuit de Daniel Simon

Entre réalité et rêve, entre vie et écriture

Le vrai et le faux. La réalité et le rêve. La raison ou le délire. La vie concrète et la littérature. Des alternances. Ou des antinomies. Voilà ce qui sous-tend le texte de Daniel Simon à travers la métaphore du travail d’écrivain.

D’abord, un lieu. Une cave, une cuisine cave comme jadis, lieu clos relégué pour qui veut s’assumer solitaire hors des autres. Mais il y a le soupirail et, par là, on entend leur vie, à eux, ces présences vivantes qui sont dans le dehors. Et il y a aussi ce besoin nécessaire de manger et donc de sortir, d’abandonner sa solitude. Paradoxe.
Ensuite l’action. Lui s’est cloitré pour écrire. Il est celui qui met en mots la vie perçue. Qui la rend fiction. Du vrai dans le factice de l’écriture. Du vécu dans le flux des mots. Du coup, ne sont plus autre chose que fiction. Paradoxe encore. Un peu comme Krapp chez Beckett dans « La dernière bande  ». Alors, choisir entre écrire ou manger. Ne plus nourrir son imaginaire mais se nourrir d’aliments. Alors, absurde, ce sera plutôt se coucher et dormir. Une première nuit. Meublée par une anecdote onirique, genre fait divers dans un zoo où il y a les enfermés et les libres, les regardés et les regardants.

Matin d’écoute des rumeurs du trottoir. Bribes de dialogue hors champ : entre le non d’interdiction et celui du refus. L’inscrire dans un cahier d’écriture. Ressasser la musique du non. Intrusion soudaine dans le huis clos : une jeune fille du genre s.d.f. En off, suite du dialogue des non.

Qui est-elle ? Inconnue bien qu’apparemment familière. Mystère. Se met à préparer des frites. Propose un lapin aux pruneaux à date quasi périmée, probable dérobé à une poubelle. À son tour de narrer, à peine entrecoupée de brefs mots de l’homme. Elle dit sa mère. Celle qui voulait de l’amour mais interdisait de dire le mot. Peur de lui. Phobie majuscule.

L’écrivain s’obsède des frites. Horreur d’un pays sans. Alors, elle dit, cette fois, son père. Coupant, coupant, coupant des frites « matière nourricière  ». Presque logorrhée. À propos d’une vie rêvée à vivre au conditionnel. Alternances : le concret des patates épluchées et l’abstrait des souvenances d’autrefois ; l’aliment à trouver et la traque aux mensonges.

Le jour qui précède l’ultime nuit, confrontations. Le vieillissant réinvente l’évolution selon Darwin. La jeunette s’élabore une conduite de vie. Lui, le café qui bout et la sciatique. Elle, un amour passé et une mère abandonnée. Elle et lui, duo de solitudes.
La dernière nuit. Irruption brutale d’un vrai fait divers : réalité urbaine extérieure, brutale elle aussi. En parallèle, ressassement du fantasme de l’écrivant. Espérance, désir d’apesanteur physique. Foi en une libération des contraintes. Obsession d’une espèce humaine icarienne. Échappatoire au malheur. Utopie d’une friterie imaginée à gérer ensemble.

Cette pièce de Daniel Simon illustre ce que Pauline Bouchet constate comme le fait qu’actuellement « la porosité de la frontière entre réel et fiction est au centre de beaucoup d’écritures ». Comme elle l’est dans une autre œuvre récente parue chez le même éditeur « Le chant de la baleine » de Catherine Daele, dans laquelle deux enfants conjurent la mort par l’invasion du fantastique. Chez Simon,l’écrivain prend le réel perçu dehors en tant que matière de fiction. La jeune errante, de son côté, exorcise le réel vécu en fantasmant un retour à la norme. Le théâtre nous laisse le choix.

Lire : Daniel Simon, « La troisième nuit », Carnières, Lansman, 2022, 36 p. (10€)
Comparer : 1. www.je-suis-un-lieu-commun-journal-de-daniel-simon.com/2023/01/martine-rouhart-a-lu-la-troisieme-nuit.html

2. https://le-carnet-et-les-instants.net/2022/12/07/simon-la-troisieme-nuit/
Consulter : Pauline Bouchet, Les dramaturgies françaises contemporaines : montage(s) et démontage(s) du réel

Compléter : Catherine Daele, Le chant de la baleine, Lansman, 2019, 48 p., (10 €)

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