Nancy - Opéra National de Lorraine jusqu’au 19 novembre 2009

MEDEA de Luigi Cherubini

Sous le sceau de l’élégance

MEDEA de Luigi Cherubini

Rarement la reprise d’une mise en scène réussit à recréer l’impact de sa réalisation d’origine. Souvent des assistants se contentent d’en reproduire les décors et la mise en place et les spectateurs qui reviennent pour le plaisir de retrouver une émotion restent sur leur faim.

Yannis Kokkos avait monté cette Medea virtuose de Cherubini en mai 2005 au Capitole de Toulouse (voir webthea du 25 mai 2005), et, pour sa recréation nancéenne, il a repris les outils qui en marquèrent la réussite, les a aiguisé, peaufiné, complété. Et le charme premier opère à nouveau sous le sceau de l’élégance qui est en quelque sorte la marque de fabrique de Kokkos. On la reconnaît d’emblée dans la parfaite géométrie de ses décors qu’il décline en noir, blanc et or, les lourds portails mobiles coiffés de chapiteaux, la poupe du navire qui amène Jason et sa Toison d’Or, le flambeau de vengeance de Medea, brûlant dans un triangle renversé, autant d’images symboles en parfaite adéquation avec le sujet et sa musique. Tout comme les costumes d’encre et de lumière, les maquillages blêmes des chœurs et leurs coiffes dressées en casques qui leur donne un petit air japonisant.

La plus célèbre des infanticides et la plus aimée

Née à Paris en 1797 en langue française, traduite et remaniée en italien en 1909, un demi siècle après la mort de son compositeur, cette Medea de fureur musicale connaît rarement les honneurs d’une représentation scénique. Non pas à cause de son histoire qui depuis l’Antiquité où elle est née sous la plume d’Euripide a inspiré d’innombrables poètes, musiciens, cinéastes et peintres, mais en raison des prouesses musicales qu’elle exige. Femme bafouée qui en perdant l’homme auquel elle a tout sacrifié perd toute raison de vivre, Médée, revisitée par Sénèque, Corneille, Cavalli, Darius Milhaud, ou autre Pasolini, magicienne, amante, meurtrière, est la plus célèbre des infanticides littéraires. Et la plus aimée ! Un mythe dont les incarnations les plus diverses, fictives et réelles, continuent de peupler les imaginations et les faits divers.

Le prolifique virtuose qu’était Cherubini (1760-1842) le pare d’un matériau musical fait de broderies raffinées, de rages explosives, de douleurs rentrées, d’errances dans la démence qui, pour le rôle titre, exige des capacités vocales hors norme. Maria Callas en réussit l’illustration majeure de la deuxième moitié du vingtième siècle. La version française d’origine n’est pratiquement jamais jouée. Au printemps 2008 la Monnaie de Bruxelles en fit redécouvrir la richesse dans la mise à jour acide de Krzysztof Warlikowski, sous la baguette raffinée de Christophe Rousset (voir webthea du 17 avril 2008). A Toulouse, comme à Nancy, c’est la version courante, remaniée en langue italienne qui a été retenue.

Chiara Taigi, sorcière revancharde échappée d’une bande dessinée

Sous la direction de Paolo Olmi, directeur musical maison, les musiciens de l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy s’investissent scrupuleusement dans le charivari « cherubinien », mais à l’exception d’un basson particulièrement habité ne réussissent pas à décoller vraiment dans la folie de la partition. L’avantage de leur retenue est de ne jamais couvrir les voix, le bronze de l’Américain Alfred Walker en Créon humaniste, la clarté métallique du ténor Chad Shelton en Jason plutôt passe-murailles, la belle tonalité de la Néris de Svetlana Lifar. La puissance de projection de Maïra Kerey pourrait briser une vitre mais l’absence de nuances et de legato en gâche la portée, la pauvre Glauce s’y trouve doublement sacrifiée. Difficile d’oublier la splendeur d’Anna Caterina Antonacci qui à Toulouse puis à Paris embrasait les oreilles, les corps et les cœurs par une Medea à la fois chaleureuse, charmeuse et désespérée. La Romaine Chiara Taigi relève le défi de lui succéder par un aplomb dévastateur, un jeu en constant déséquilibre psychique, comme si sa Médéa, sorcière revancharde échappée d’une bande dessinée, ne trouvait son salut que dans la face noire de son être. Le tout servi par une voix plus que prometteuse, des couleurs franches, des aigus qui montent haut sans jamais céder au cri.

Medea de Luigi Cherubini, orchestre symphonique et lyrique de Nancy, direction Paolo Olmi, chœur de l’Opéra National de Lorraine, mise en scène, décors et costumes Yannis Kokkos, dramaturgie Anne Blancard, lumières Patrice Trottier. Avec Chiara Taigi, Chad Shelton, Alfred Walker, Maïra Kerey, Svetlana Lifar, Yuree Jang, Aline Martin, Pascal Desaux, Luis Bigard, Blaise Fourcade.

Nancy, Opéra National de Lorraine, les 10, 12, 17, 19 novembre à 20h , le 15 à 15h.

03 83 85 33 11 – www.opera-national-lorraine.fr

crédits photo : Opéra national de Lorraine

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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