Théâtre du Châtelet (Paris)

The Bassarids

Du rififi au pied de l’Olympe

The Bassarids

Au-delà du sujet de cet opéra de jeune maturité de Hans Werner Henze, c’est dans la fosse d’orchestre que le rififi fut perpétré. La grève des personnels de Radio France avait en effet, après trois semaines de répétitions, privé les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de la Maison Ronde de leurs instruments et de leurs partitions... Catastrophe ! Une solution alternative de dernière minute avec l’Orchestre Lamoureux échoua à son tour. Ainsi, le beau projet de monter pour la première fois en France cette œuvre majeure du compositeur allemand âgé aujourd’hui de 79 ans a donc bien failli s’écraser sur le mur des revendications salariales. C’était sans compter avec la vigilance, l’obstination et l’inventivité du jeune chef japonais Kazushi Ono qui, en l’espace d’un week-end, réalisa une transcription orchestrale qui a fait passer la centaine d’instrumentistes pressentis à un effectif de vingt et un solistes ! Dont trois pianos qui partiellement se substituent à l’ensemble des cordes et des vents absents. Les percussions, harpes, célestas, guitares, mandoline, trompettes restèrent fidèles à l’original, mais l’intermezzo qui s’intercale entre le troisième et quatrième mouvement dut être supprimé. Le tout constituant un tour de force incroyable où la musique en tempêtes et tremblements de Henze ne perdit rien de sa rage et de sa violence. Rien d’étonnant à ce que, au moment des saluts, une ovation accueillit Kazushi Ono et ses musiciens.

Dénoncer toutes les aliénations

The Bassarids, opéra seria de Henze sur un livret anglais de Wysten Hugh Auden et Chester Kallman, revisite Les Bacchantes d’Euripide, en ôtant aux adoratrices de Dyonisos l’exclusivité de leur sexe. Ici les implorations des ménades se conjuguent également au masculin, mais l’essentiel de la tragédie antique est respecté avec un Cadmos, roi de Thèbes vieillissant qui laisse son trône à Penthée, l’enfant de sa fille Agavé. Un rationaliste radical, ce jeune Penthée qui refuse de croire que sa tante Semélé prise de Jupiter mit au monde le dieu des plaisirs Dyonisos. Penthée fait alors la chasse aux idolâtres sans épargner les siens. Mais ce Dyonisos existe bel et bien qui se fait passer pour un étranger et qui envoûte jusqu’à la transe ceux qui l’écoutent. Comme chez Euripide, Penthée l’intransigeant se laisse embarquer, déguisé en bacchante, et finit déchiqueté par sa propre mère, qui, en état second, le prend pour un lionceau. La flamme du tombeau de Sémélé se rallume, Thèbes est détruite et ses souverains bannis. Qu’a voulu démontrer Henze dans ce sixième opéra composé à l’âge de quarante ans et créé au Festival de Salzbourg en 1966 ? Une protestation contre toute forme d’aveuglement ? En rébellion contre un père sympathisant nazi, on sait qu’il voua son existence à un engagement sans partage contre toute forme de fascisme et qu’il suivit dans son œuvre les principes du sérialisme hérité de ce Schoenberg catalogué par Hitler de "musicien dégénéré". En adaptant la saga mythologique d’Euripide, il dénonce sans doute toutes les aliénations du moment, celles des drogues à avaler physiquement comme celles cuisinées par des maîtres à penser... À chacun son interprétation, le message reste ouvert.

Le timbre rare de June Anderson

Yannis Kokkos metteur en scène, décorateur, créateur de costumes reste fidèle, quant à lui, à son culte du beau. Pour loger le peuple (le chœur) et les héros du drame il a inventé un dispositif d’architecte qui superpose en trois plans arrondis les différents lieux en espaces suspendus où dominent le rouge des toges et des robes et le noir des uniformes de la soldatesque. Tout est mis en œuvre pour que les chanteurs puissent s’acquitter sans embûches des difficultés d’une écriture vocale savante exigeant souvent des moyens athlétiques. Mémorables performances du baryton Franco Pomponi en Penthée bravache puis éperdu, de Kim Begley en Tirésias illuminé, de Mathew Best en Cadmos accablé, du ténor Rainer Trost en Dyonisos christique, et, la plus remarquable, la plus inattendue, de June Anderson, en Agavé égarée, tour à tour vamp et mère, avec son timbre rare aux couleurs de bronze et de soleil.

The Bassarids de Hans Werner Henze, d’après Les Bacchantes d’Euripide, direction musicale Kazushi Ono, chœur du Théâtre du Châtelet, mise en scène, décors et costumes Yannis Kokkos. Avec June Anderson, Marisol Montalvo, Rebecca de Pont Davis, Rainer Trost, Franco Pomponi, Mathew Best, Kim Begley, Robin Adams. Théâtre du Châtelet les 15, 17, 21, 23 avril 2005.

Photo : M.N. Robert

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook