Critique – Opéra & Classique

L’Heure Espagnole – Gianni Schicchi

Ravel et Puccini en exquises reprises

 L'Heure Espagnole – Gianni Schicchi

Du Palais Garnier à l’Opéra Bastille, de 2004 à 2018, la mise en scène de Laurent Pelly de ces deux courtes œuvres en un acte, n’a pas pris une ride. Et semble même sur ce plateau plus large et plus profond trouver une respiration plus dansante.

Curieux destin de ces deux mini opéra qui à première vue n’ont rien en commun de se voir si souvent associés. Ils ont peu ou prou le même âge, nés tous les deux au début du XXème siècle -1911 pour L’Heure Espagnole du français Ravel, 1918 pour Gianni Schicchi de l’italien Puccini – et tous deux revendiquent la légèreté des comédies.
Amours et amourettes sous-tendent leurs intrigues et scellent leurs points communs.

La première composée par un quasi débutant se déroule en Espagne, la seconde confectionnée en quasi fin de carrière se passe dans l’italienne et mythique Florence. Ravel en avait fait une sorte de galop d’essai qui devait aboutir quelques années plus tard à l’Enfant et les sortilèges, le chef d’œuvre de sa consécration, Puccini l’avait inclus dans son Trittico, son Triptyque (aux côtés d’Il Tabarro et de Suor Angelica).
En transposant leurs aventures au cœur d’un XXème siècle plutôt indéterminé, Laurent Pelly en fait en quelque sorte nos contemporains, gens d’aujourd’hui ou de tous les temps. Le thème de l’horloge qui fait tique-taquer le cœur de Ravel se retrouve en clin d’œil chez Puccini où une pendule servira à camoufler la dépouille du brave tonton Buoso dont l’héritage espéré met le feu aux intrigues.

Mais le fil rouge de sa réalisation surfe avant tout sur l’humour, une drôlerie rythmée où les gags bondissent et rebondissent comme les balles d’un ping-pong musical. Les décors de Florence Evrard et Caroline Ginet épousent à merveille les partis pris de loufoquerie, invraisemblable bric-à-brac de pendulettes, balanciers ou autres coucous pour L’Heure espagnole puis amoncellement hétéroclite de meubles de toutes sortes pour les héritiers affamés de Gianni Schicchi.

L’autre signature indissociable de l’homme de théâtre Pelly s’expose et s’entend dans sa direction d’acteurs. Ses chanteurs sont comédiens et bouffons, ils se servent de leurs corps autant que de leur voix, ils jouent les mots et leur musique.

La jeune mezzo Clémentine Margaine campe une Concepcion nymphomane irrésistible de drôlerie dans un alliage de sensualité et de clownerie, le tout porté par une voix toute de chaleur et de clarté. C’est un Stanislas de Barbeyrac inattendu que l’on découvre en un Gonzalve caricatural carrément hilarant, Jean-Luc Ballestra fait de Ramiro un déménageur pacifique inébranlable, Philippe Talbot compose un Torquemada avaricieux à souhait, Nicolas Courjal fait du banquier un pic de ridicule.
Ballestra, Talbot, Courjal se retrouvent tous trois en personnages pittoresques (secondaires) de Gianni Schicchi (Marco, Gherardo, Betto).

Bigoudis collés au crâne et silhouette filiforme empruntée, Rebecca de Pont Davies, mezzo anglaise fait de Zita la cupide, une marionnette à la voix protéiforme passant des aigus pointus aux graves nasillards, la blonde, appétissante Elsa Dreisig dote Lauretta de séduction voluptueuse. Artur Ruciński fait du rôle-titre un être malin, joueur jusqu’au cynisme avec un naturel parfait, de l’élégance spontanée et une ligne de chant subtile. Le Rinuccio de Vittorio Grigolo un Don Juan séducteur rôdé usant de la douceur de son timbre comme d’un aimant. L’ensemble de la distribution se distingue par une diction rarement entendue sur une scène d’opéra. Clarté des mots et des notes s’ajoutent au charme de cette reprise exquise que le jeune Maxime Pascal, fondateur de l’ensemble Le Balcon, dirige en battues inspirées d’humour.

L’Heure espagnole de Maurice Ravel – Gianni Schicchi de Giacomo Puccini, Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction Maxime Pascal, mise en scène et costumes Laurent Pelly, décors Florence Evrard & Caroline Ginet, lumières Joël Adam. Avec Clémentine Margaine, Stanislas de Barbeyrac, Philippe Talbot, Jean-Luc Ballestra, Nicolas Courjal pour l’Heure Espagnole - Artur Ruciński, Elsa Dreisig, Rebecca de Pont Davies, Vittorio Grigolo, Philippe Talbot, Emmanuelle de Negri, Nicolas Courjal, Maurizio Muraro, Jean-Luc Ballestra, Isabelle Druet, Pietro Di Bianco, Tomasz Courbiega, Matheusz Hoedt, Piotr Kumon, Etienne David

Opéra Bastille, les 17, 19, 22, 30 mai, 2, 8, 12, 14 juin à 19h30, 27 mai et 17 juin à 14h30
08 92 89 90 90 – www.operadeparis.fr

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A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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