Opéra National de Paris – Bastille jusqu’au 4 mai 2014

TRISTAN ET ISOLDE de Richard Wagner

Philippe Jordan sublime l’emblématique production de Peter Sellars et Bill Viola

 TRISTAN ET ISOLDE de Richard Wagner

La reprise de cette emblématique production de Tristan et Isolde de Richard Wagner remue bien des souvenirs. Elle fut en 2005 la première secousse esthétique déclenchée par Gérard Mortier qui venait alors d’entamer son mandat de directeur de l’Opéra National de Paris, mandat qu’il allait assurer jusqu’en 2009. Gérard Mortier a quitté ce monde le 8 mars dernier (voir WT 4041). Le 8 avril, au soir de la première, Nicolas Joël, son successeur, souhaita lui rendre hommage et demanda au public d’observer une minute de silence. Ce qu’il fit, debout.

Etrange impression que ce recueillement de la part d’un public qui, du vivant de Gérard Mortier, vilipenda avec force huées la plupart de ses choix. Les soirs de première constituaient le terrain privilégié des dénigrements. Faut-il le rappeler ? Mortier qui injecta des flots de jeunesse et de remises en question au répertoire de la grande maison, regrettait de ne pas y avoir été plus heureux.

Ce Tristan et Isolde griffé des signatures d’un triumvirat étoilé – Peter Sellars à la mise en scène, Bill Viola aux projections vidéo qui tiennent lieu de décors et Esa-Peka-Salonen, puis Valery Gergiev, et aujourd’hui Philippe Jordan à la direction d’orchestre – a conservé, et les qualités et les défauts de sa création.

On retrouve avec le même éblouissement l’utilisation des chœurs répartis dans la salle, notamment au final du premier acte lorsqu’ils éclatent du dernier rang de balcon sur la salle soudain éclairée, ou celle de personnages comme le berger envoyant ses messages depuis un balcon. De même on revoit avec le même mélange d’agacement et d’émerveillement les vidéos de Bill Viola, maître en la matière auquel le Grand Palais consacre actuellement une expo-performance. L’écran géant aux dimensions modulables qui surplombe l’espace noir de la scène où seul un tréteau du même noir tient lieu de décor, déverse toujours son flux d’images animées, à jets continu, sans pause, sans répit, tantôt magnifiant la musique, tantôt la noyant.

La contribution – doublure ? – du couple qui au premier acte se substitue pour ainsi dire à celui qui vit, joue et chante sur la scène, reste étrangère au propos. Cet homme et cette femme en dévotion comme échappés d’une secte, se mettant à nu tout en se livrant à des simulacres de purification ressortent d’un collage incongru. D’autres en revanche – mers démontées, plongées aquatiques, soleils rasant les cimes – se moulent dans la musique et sont souvent d’une absolue beauté.

Belle surprise côté voix : le choix de Violeta Urmana pour succéder à la charismatique Waltraud Meier, semblait risqué d’autant que ses précédentes prestations sur cette même scène n’avaient guère convaincu (voir WT 3051 – La Force du Destin, 3265 – Cavalleria Rusticana, 3732- La Gioconda). La soprano lituanienne a allégé et assoupli son timbre, ses stridences dans l’aigu sont toujours présentes mais elles s’expriment dans une forme d’homogénéité. Le Tristan curieusement réservé du ténor Robert Dean Smith démarre en aisance, la voix est claire, la projection nette quoique sans grande envergure, puis peu à peu, le timbre pâlit, s’efface et atteint en fin de parcours la limite de l’audible.

Janina Baechle transforme Brangäne en mère maquerelle au timbre chaud et rond, Jochen Schmeckenbesser confère au dévoué Kurwenal la grandeur de l’homme du peuple, tendre et rugueux, Pavol Breslik remplaçant in extrémis Stanislas de Barbeyrac prête au Berger la lumière irradiante de Tamino qu’il chante dans La Flûte Enchantée (voir WT 4047 du 14 mars 2014 ). Franz-Josef Selig, basse d’ombre, reprend le roi Marke qu’il interprétait déjà il y a 9 ans et, la voix d’encre et de soie, le rend encore plus humain.

Philippe Jordan dans la fosse confirme une fois de plus qu’il est un immense wagnérien, capable de colorer sa musique de toutes les nuances qui traversent ses profondeurs, fluides, translucides s’ouvrant aux rêves, rageuse dans ses orages, sensuelle dans ses élans et ses caresses… Il est le maître incontesté, incontestable de la soirée, et avec, l’orchestre magnifique de l’Opéra de Paris, touche des sommets.

Tristan et Isolde musique et livret de Richard Wagner, orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris, direction Philippe Jordan, chef de chœur Patrick-Marie Aubert, mise en scène Peter Sellars, création vidéo Bill Viola, costumes Martin Parkledinaz, lumières James F. Ingalls. Avec Violeta Urmana, Robert Dean Smith, Franz-Josef Selig, Janina Baechle, Jochen Schmekenbecher, Raimond Nolte, Piotr Kumon, Pavol Breslik .

Opéra Bastille, les 8, 12, 17, 21, 25, 29 avril à 18h, le 4 mai à 14h.

08 92 89 90 90 - +33 1 72 29 35 35 – www.operadeparis.fr

Photos Charles Duprat/Opéra National de Paris

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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