Opéra National de Paris – Bastille jusqu’au 31 mai 2013

LA GIOCONDA de Amilcare Ponchielli

Splendeurs à l’ancienne

LA GIOCONDA de Amilcare Ponchielli

Que la musique de Ponchielli (1834-1886) ne soit qu’un très pâle reflet de celle Verdi (1813-1901) son illustre aîné est chose connue et admise depuis longtemps. Mais de l’ensemble d’une série de compositions (dont dix opéras) passées à l’ombre, une seule a survécu avec succès cette Gioconda aux racines hugoliennes (d’après Angelo, tyran de Padoue) qui poursuit sa carrière sur bien des scènes du monde. Sauf à Paris.

Nicolas Joël, patron de l’Opéra National de Paris vient de combler cette lacune en important une production signée Pier Luigi Pizzi, créée en 2005 à Vérone. Elle a déjà beaucoup voyagé mais n’a rien perdu de la beauté de ses décors, de ses costumes, de ses lumières. Et, grâce à des voix de belle pointure, quoique inégales, fait passer une belle soirée.

Pizzi qui fêtera ses 83 étés à la mi-juin a toujours été un maître en matière d’élégance et de raffinement visuels. Dans la plus pure tradition de l’opéra à l’ancienne, sans effets vidéos ni transposition dans le temps. Y compris dans l’absence de véritable direction d’acteurs, les chanteurs étant priés la plupart du temps à envoyer leurs grands airs face au public, la main sur le cœur. Exercice auquel se prête avec délectation Marcelo Alvarez, ténor vedette en somptuosité vocale.

Je t’aime, moi non plus

L’histoire de cette Gioconda/Joconde pourrait se décliner sur le thème « Je t’aime, moi non plus ». Elle est follement éprise d’Enzo qui aime à la folie Luciana, l’épouse de Alvise Badoero, grand conseiller de l’Inquisition et mari jaloux dont l’espion Barnaba est lui-même amoureux de la Gioconda... Quand la passion adultérine est révélée et que tombe la sentence de mort, la Gioconda étouffe sa propre douleur, sauve sa rivale et choisit de mourir pour que les amants puissent vivre. Le mélo atteint son apogée, et Ponchielli a su l’illustrer de quelques pages superbes. Ses grands airs – Cielo e mar - Suicido – son duo de la pleine lune, ses chœurs opulents – font éclore une musique d’un romantisme flamboyant, tandis que son fameux ballet La Danse des Heures, emprunté par Walt Disney dans Fantasia, s’achève sur des cadences aux couleurs d’Offenbach.

La Venise des ponts et gondoles

C’est la Venise des ponts et des gondoles où la plèbe réclame des jeux et du pain, où les ombres sont peuplées de nonnes et d’inquisiteurs masqués, où Arlequin, Colombine, Pantalone et autres figures de la commedia dell’arte hantent les marches d’un escalier géant, où un deux mats déploie ses voiles écarlates. En rouge, en noir, dans des lumières crépusculaires avec ses ombres chinoises et contre-jours hérités de Giorgio Strehler, tout ce qui est à voir est un régal.

A l’oreille, on n’atteint pas la perfection mais l’ensemble défend vaillamment une partition taillée pour gosiers d’or : Violeta Urmana en fut un, mais passant du registre de mezzo à celui de soprano elle lance des aigus stridents qui brouille sa tessiture et hystérise son personnage. En Laura, Luciana d’Intino surfe au contraire sur un timbre de mezzo d’une parfaite harmonie et Cieca, la mère aveugle trouve en Maria José Montiel des sonorités bouleversantes flirtant avec les graves d’un contralto. Belle autorité de la basse Orlin Anastassov en Alvise inquisiteur mais, seul point faible de la distribution, un Barnaba sacrifié par l’insignifiance de voix et de jeu du baryton Claudio Sgura. Aucune déception en revanche pour Marcelo Alvarez, au style et la voix impeccables.

Vigueur et rigueur sont la marque de fabrique de la direction de Daniel Oren qui communique générosité et délicatesse à l’orchestre.

Cerise sur le gâteau : La Danse des heures, dans des costumes soudain sortis des songes des années vingt, superbement chorégraphiée par Gheorghe Iancu – avec en solistes les ébouriffants Letizia Giuliani et Angel Corella – remporte à elle seule un triomphe mérité.

La Gioconda de Amilcare Ponchielli, livret d’Arrigo Boito d’après Angelo, tyran de Padoue de Victor Hugo. Orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris, direction Daniel Oren, maîtrise des Hauts de Seine et chœur d’enfants de l’Opéra National de Paris, chef de chœur Patrick Marie Aubert. Mise en scène, décors et costumes Pier Luigi Pizzi, lumières Sergio Rossi, chorégraphie Gheorghe Iancu. Avec Violeta Urmana, Marcelo Alvarez, Luciana d’Intino (jusqu’au 17 mai) Elena Bocharova (du 20 au 31 mai), Orlin Anastassov, Maria José Montiel, Claudio Sgura, Damien Pass, Kevin Amiel, et Letizia Giuliani, Angel Corella, danseurs solistes .

Opéra Bastille, les 2, 7, 10, 13, 17, 20, 23, 31 mai à 19h30, le 26 à 14h30.

08 92 89 90 90 - +33 1 72 29 35 35 – www.operadeparis.fr

Photos Andrea Messana

La Gioconda au cinéma  : à l’initiative de l’Opéra National de Paris, cette production sera retransmise en direct le 13 mai à 19h30 dans 26 salles du réseau UGC en France et en Belgique, ainsi que dans 45 salles françaises indépendantes et 200 salles dans divers pays d’Europe.

On pourra également l’entendre en différé sur France Musique le 18 mai à 19h.

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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