Bruxelles – La Monnaie jusqu’au 30 juin 2010

Macbeth de Giuseppe Verdi

Délires visionnaires et somptuosité musicale

Macbeth de Giuseppe Verdi

Fin de saison en double apothéose à la Monnaie de Bruxelles qui se voit décerner par le syndicat de la critique le prix du meilleur spectacle de l’Europe Francophone pour sa production d’Elektra de Richard Strauss (voir webthea du 24 janvier 2010) et qui conclut cette même saison avec la réalisation pour le moins décoiffante du Macbeth de Giuseppe Verdi : un spectacle galvanisant signé Krzysztof Warlikowski, l’électron libre des scènes polonaises qui depuis quelques années met sens dessus dessous le théâtre et l’opéra en France et ailleurs.

Un état poétique

Le monde de Warlikowski est celui d’un état poétique, à la fois brutal et insidieux. On y entre ou pas. On en sort tétanisé de plaisir ou trépignant de colère. Jamais indifférent. A l’Opéra National de Paris où Gérard Mortier eut la bonne intuition de l’importer on lui doit des bonheurs panachés par Janacek (l’Affaire Makropoulos), Wagner (Parsifal), Szymanowski (Le roi Roger) et surtout l’inoubliable Iphigénie en Tauride de Gluck (voir webthea des 1er mai 2007, 6 mars 2008, 22 juin 2009 & 25 mai 2008). A la Monnaie, Peter de Caluwe, son directeur, avait fait appel à lui pour une Médée de Cherubini évidemment déconcertante (webthea du 17 avril 2008). Il en fait à nouveau l’hôte de la maison d’opéra bruxelloise et le laisse s’approprier Verdi et Shakespeare pour en faire un produit insolent et insolite où resplendit la musique et ceux qui l’interprètent.

Des tics et des manies

Les querelles de territoire opposant l’Ecosse et la Norvège sont reléguées au placard. L’ombre du Vietnam plane sur la voix off lisant en anglais la lettre qu’un soldat adresse à sa femme. C’est l’état de guerre, le démantèlement des corps et des esprits qui sont projetés sur scène, dans un décor de murs nus, interchangeables, d’hôtel ou d’hôpital, des lumières glauques, des miroirs, des baies vitrées derrières lesquelles se profilent les fantasmes et les cauchemars du couple assassin. On retrouve les tics et les manies de l’enfant terrible Warlikowski, les lavabos (ici bien à propos avec leur eau qui n’arrive pas à laver le sang agglutiné sur les mains…), le tailleur simili Chanel et la perruque grisonnante coiffée en boule de Lady Macbeth mourante, les inévitables treillis de la soldatesque, du pioupiou au général, et les rêveries d’hommes seuls valsant en couple dénudé ou se trémoussant en porte-jarretelles et talons aiguille…

Et la présence obsédante des images, celles des télévisions meublant les chambres diffusant en noir et blanc des extraits d’un vieux film de Nicholas Ray et surtout celles filmées en direct et diffusées sur l’écran géant qui s’étire sur tout l’espace du fond de scène, crachant en gros plan les visages ravagés par l’alcool et la peur.

Un son charnu et spatialisé

Tout ne se justifie pas, certaines signatures en clin d’œil sont superflues. Elles freinent, ici ou là, l’impact de la dramaturgie où le couple stérile des Macbeth délire en rêves d’enfants. Les spectres des morts surgissent sur des corps nains, les jouets, les friandises jonchent les tables et les sorcières sont des petites filles masquées qui dansent à la corde…

Leurs voix, leurs prédictions descendent du dernier balcon de la salle - le paradis -, où sont groupés les magnifiques choristes, créant ainsi un son à la fois charnu et spatialisé, jamais entendu, qui tombe sur les spectateurs comme un manteau de musique.

Un enfer fascinant

Le baryton texan Scott Hendricks qui, dans le rôle de Richard III de Battistelli fut à Strasbourg « un phénomène de démesure maîtrisée » (voir webthea du 23 septembre 2009), ici chef de guerre déboussolé par les guerres, renouvelle son exploit avec une rage hallucinée, une articulation tracée au couteau, un timbre de nuit noire, Lady Macbeth a le mordant, les aigus un peu secs de la soprano géorgienne Iano Tamar, Banquo le bronze de la basse italienne Carlo Colombara et Macduff la jeune vaillance du ténor américain Andrew Richards.

Chauffé à blanc par le chef Paul Daniel l’orchestre symphonique de la Monnaie fait exploser la musique de Verdi tout en lui conservant rigueur et précision. Stimulés par la fougue de Martino Faggiani, les chœurs, juchés sous la coupole du théâtre, transforment leur paradis en un enfer fascinant.

Macbeth de Giuseppe Verdi d’après William Shakespeare, orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie, directions Paul Daniel et Martino Faggiani, mise en scène Krzysztof Warlikowski, décors et costumes Malgorzata Szczesniak, lumières Felice Ross, vidéo Denis Guéguin, chorégraphie Saar Magal. Avec Scott Hendricks, Iano Tamar (et Lise Houben les 17 & 29 juin), Carlo Colombara, Janny Zomer, Andrew Richards, Benjamin Bernheim, Justin Hopkins, Gerard Lavalle.

La Monnaie – Bruxelles, les 11, 15, 17, 22, 25, 29 & 30 juin à 19h30, les 13 & 27 juin à 15h.

+32 (0) 70 233 939 – www.lamonnaie.be

© Bernd Uhlig

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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