Paris, Théâtre du Vieux–Colombier jusqu’au 3 janvier 2010
Les Affaires sont les affaires, d’Octave Mirbeau
Les couleurs de l’argent
Créée à la Comédie-Française le 20 avril 1903 – contre l’avis d’un comité de lecture qui sera désavoué – cette pièce d’Octave Mirbeau (1848-1917) connut aussitôt un immense succès. Elle contribue à l’illustration de l’engagement du journaliste polémiste, romancier et dramaturge, qui, après une tentation antisémite, s’engagea auprès de courants de gauche et des anarchistes tout en demeurant allergique aux idéologies aliénantes. L’homme fut avant tout un libertaire, stigmatisant dans ses écrits les travers des affairistes et des spéculateurs de toutes tendances, avec une férocité jubilatoire. Cette comédie en trois actes en fournit la preuve. Issu du peuple et socialiste par opportunisme, sans culture ni préjugés, Isidore Lechat a fait fortune. Patron de presse il aspire à la députation. Dans son château de Vauperdu, situé sur les sept mille hectares en sa possession répartis sur "deux départements et huit chef-lieux de canton", il règne sur une famille composée d’une épouse soumise, de sa fille rebelle Germaine et de son fils Xavier qu’il néglige. Il mène à grand train ses affaires pour augmenter son capital et étendre son rêve de domination jusque sur la nature et les oiseaux. Un personnage cynique inscrit dans une époque de bouleversements économiques et d’expansions du capitalisme, prémonitoire de la réalité de la société d’aujourd’hui dominée par l’argent et manipulée par des gestionnaires sans scrupules, soumis à la seule loi du pouvoir et du profit. A travers les agissements et l’entourage de Lechat, Mirbeau aborde aussi la notion de laïcité, l’émancipation de la femme – vécue par sa fille rebelle qui renonce à son héritage pour suivre son amant – ou encore la pesanteur des rapports sociaux et l’affrontement de classes. La pièce traverse ainsi différentes thématiques sous des tonalités fluctuantes et passe du rire au drame pour s’achever sur une note de tragédie, à laquelle, malgré tout, survivront « les affaires ».
En portant à la scène cette œuvre grinçante Marc Paquien a évité le piège d’une actualisation simpliste dont la pièce n’a nul besoin pour résonner dans l’époque actuelle. Il s’est davantage attaché à restituer la polyvalence stylistique portée par une écriture qui associe le naturalisme au symbolisme. Une association délicate dont l’équilibre mouvant et les partis pris, parfois surréalistes, peuvent s’avérer déroutants pour la perception des personnages, qui trouvent l’écho souhaité dans le décor épuré de Gérard Didier et les costumes de Claire Risterucci. Mais, en tenant à distance les clichés attendus dans cette vision sombre de la comédie, la représentation soulève de nouveaux questionnements dont l’approfondissement ouvre – pour peu que l’on s’y attache - sur une perception renouvelée de cette satire visionnaire réjouissante. Avec talent et densité, Gérard Giroudon révèle progressivement les différents aspects de la personnalité d’Isidore Lechat, dont l’excitation vulgaire, la suffisance odieuse et l’âme de prédateur deviennent pitoyables mais restent sans appel. A ses côtés Claude Mathieu, parfaite en petite bourgeoise parvenue, et Michel Favory, saisissant marquis de Porcelet au bord de la ruine, apportent notamment une contribution bien adaptée.
Les Affaires sont les affaires d’Octave Mirbeau, mise en scène Marc Paquien, avec Gérard Giroudon, Claude Mathieu, Michel Favory, Françoise Gillard, Nicolas Lormeau, Clément Hervieu – Léger, Adrien Gamba – Gontard, Gilles David et Cholé Schmutz. Décor Gérard Didier, costumes Claire Risterucci, lumières Dominique Bruguière. Durée 2 h 40 avec entracte. Théâtre du Vieux – Colombier jusqu’au 3 janvier 2010.
