Le Génie de la Forêt

Chassé-croisé émouvant

Le Génie de la Forêt

Cette œuvre de jeunesse de Tchekhov a pour particularité d’être une sorte d’ébauche d’une de ses pièces maîtresses, Oncle Vania, qui verra le jour dix ans plus tard. Cela étant, lorsqu’il écrit Le Génie de la forêt, le grand auteur russe qui ne s’est pas encore laissé submerger par l’amertume et la nostalgie, exprime encore un certain romantisme. Ses personnages sont moins laids, moins sombres, moins fatalistes. C’est manifestement cette fraîcheur certes non dépourvue de lucidité qui a intéressé Planchon.

Retour aux sources

On ne présente certes pas Roger Planchon, à la fois figure emblématique et homme-orchestre du théâtre depuis plus de cinquante ans. Il n’est cependant pas inutile de rappeler qu’il appartient à cette génération de pionniers du théâtre public, qui, à l’origine, n’ont pas eu le privilège d’asseoir le confort de leur « carrière » dans les antichambres des ministères. Pour exister, pour s’imposer, ils ont dû longtemps se débrouiller avec les moyens du bord. Une génération qui avait surtout comme objectif premier la conquête d’un public socialement coupé du théâtre. Ayant atteint l’âge où l’on écrit ses mémoires et bien que l’accueil réservé à ses récentes productions n’ait guère été triomphal, Planchon réussit, avec cette nouvelle mise en scène, une sorte de tour de force consistant à apporter tout son savoir à ce qui ressemble bien à un retour aux sources. Car ce qui frappe ici c’est l’harmonie et le plaisir de jouer, visiblement partagés par tous les comédiens, sans que cela soit jamais aux dépens de l’affirmation des personnalités. En somme, ce que l’on peut aussi appeler « l’esprit de troupe », autrement dit l’essence même d’un théâtre populaire dans lequel le metteur en scène est bien davantage un animateur et un passeur qu’un démiurge.

Les affres de la bourgeoisie paysanne

Dans Le Génie de la forêt, Tchekhov nous raconte les affres d’une petite communauté de la bourgeoisie paysanne qui cherche maladroitement à se libérer des conventions d’une Russie tsariste déclinante. Cette galerie de personnages se livre à un émouvant chassé-croisé au gré duquel s’entrechoquent les sentiments, les égoïsmes, mais également les grandes et petites idées sur la marche du monde. Tchekhov oppose ainsi l’égocentrisme sentencieux d’un professeur qui ne supporte pas de vieillir et les convictions d’un jeune médecin, écologiste avant l’heure. La pièce est longue (près de 4 heures avec l’entracte), mais on ne tarde pas à se laisser emporter par son souffle et par l’émotion des personnages, idéalement mis en valeur par la mise en scène de Planchon.

Des interprètes épatants

Les interprètes sont tous épatants, au service d’un texte d’envergure. Thomas Cousseau par exemple, qui traduit à merveille la fougue et la ferveur de Khrouchtchev, le médecin que ses amis surnomment « le génie de la forêt », en référence à son amour pour les arbres. Jean-Pierre Darroussin, lui, apporte toute la distance et la souffrance qui sied à l’oncle Voïnitski (pas encore Vania), soumis et amer, qui ne saura finalement se faire entendre qu’en se donnant la mort. Bien entendu, les comédiennes sont au diapason. Laurence Causse est Loulia, jeune femme déterminée et travailleuse dans un environnement où l’oisiveté se porte bien ; Olga Kokorina, elle, apporte son énergie et son rayonnement à Sofia, la fille du professeur qui dissimule trop longtemps sa passion pour Khrouchtchev. Quant à Planchon, il s’est réservé le rôle du professeur faussement débonnaire, ce qui lui permet d’être en bonne place pour participer à cette pièce que le spectateur vit comme un pur moment de bonheur théâtral.

Le Génie de la Forêt, de Anton Tchekhov. Mise en scène de Roger Planchon. Avec Béatrice Audry, Denis Benoliel, Laurence Causse, Thomas Cousseau, Jean-Pierre Darroussin, Yan Duffas, Hélène Fillières, Olga Kokorina, Roger Planchon, Patrick Séguillon, Robert Sireygol, Gaëlle Boisset, Noëmie Laurent, Carl Miclet. Théâtre Gérard Philipe de Saint Denis. Du 9 au 29 janvier 2006. Réservations : 01 48 13 70 00.

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Stéphane Bugat

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