La Dame de la mer de Henrik Ibsen

Géraldine Martineau dirige et joue le rôle-titre de la pièce méconnue, très féministe, d’Ibsen

La Dame de la mer de Henrik Ibsen

Au premier plan, une barque à demi échouée sur un rivage marécageux et moussu. Derrière, quelques troncs de bouleaux dispensent une lumière voilée sur les pontons où circulent les acteurs. Au fond, une zone de brume évanescente, propice à tous les fantasmes, dans laquelle les personnages se fondent et s’évaporent. D’emblée la belle scénographie de Salma Bordes installe une atmosphère de trouble mystère et de fausse intimité sur la scène du Vieux-Colombier où la Comédie-française inscrit à son répertoire La Dame de la mer.

Une pièce rare d’Ibsen encore jamais donnée, écrite en 1888, à l’apogée de la carrière du dramaturge norvégien. Quoique toujours en demi-teinte, entre réalité et fantasme, l’œuvre s’affirme très clairement féministe, posant la question de l’autonomie des femmes dans leurs engagements et leur choix de vie. Pétrie d’inquiétante étrangeté, de dénis et de malentendus, elle n’est peut-être pas la meilleure d’Ibsen mais elle est bien dans l’air du temps.

La pièce est doublement défendue par Géraldine Martineau qui assume la mise en scène et le rôle-titre. Elle avait déjà monté pour la Compagnie La Petite Sirène, au Studio-Théâtre, en 2019, avec un grand succès (Molière du spectacle jeune public). Ne cachant pas son admiration, Éric Ruf, le patron de la Comédie-Française, voit en l’actrice, désormais membre de la troupe, « une future metteuse en scène maison ». Très fluide, sa mise en scène de La dame de la mer énonce rapidement, l’air de rien, les données du drame qui va se jouer et déchaîner la tempête sur la mer en apparence tranquille.

Nous sommes dans le jardin du docteur Wangel, au long d’un fjord, dans un espace à la fois cloisonné et ouvert où l’intimité n’est jamais garantie, où le destin de chacun se joue à la vue de tous. Dans l’excitation des préparatifs d’une fête, les deux filles du docteur, Bolette et Hilde, s’activent. C’est, croit-on, en l’honneur de deux visiteurs, le vieux professeur Arnholm et le peintre phtisique Lyngstrand, censés égayer la vie familiale. Mais le portrait de cette famille modèle entrepris par Ballested, autre ami de la maison, ne va pas tarder à se lézarder, faisant apparaître des gouffres insoupçonnés.

Famille recomposée

En fait, apprend-on grâce à la plus jeune des deux filles, Hilde, la fête est pour célébrer l’anniversaire de leur mère défunte. On a donc affaire à une famille recomposée et lorsque leur belle-mère Ellida survient, le malaise se creuse. Elle revient de son bain de mer quotidien, besoin impérieux de régénérescence qui lui vaut le surnom de « Dame de la mer ». Quoique très différente, elle partage avec ses belles-filles un désir d’émancipation, un appel du large plus ou moins refoulé dans le train-train de la vie quotidienne.

L’élément déclencheur sera un marin, dit l’Étranger, surgi inopinément de la brume. Il revient chercher Ellida qui lui avait juré un amour éternel, pacte qu’elle a rompu en faveur du Docteur Wangel. Va-t-elle le suivre comme il le lui commande et retourner sous l’emprise de cet homme qui la fascine, ou rester fidèle à son mari ? Elle ne dispose que d’un jour pour résoudre ce dilemme. Moment crucial où se précipitent les enjeux de la pièce avant que l’abcès ne crève. De leur côté, les deux filles sont affrontées à des choix symétriques avec leurs soupirants. Mais c’est dans le plein exercice de leur libre arbitre que chacune des trois femmes va trancher, dans un happy end général tout à fait inattendu chez Ibsen.

En forçant un peu le trait Géraldine Martineau joue une Ellida insaisissable, luttant pour échapper à toute emprise. Face à elle, Laurent Stocker est confondant dans le rôle du docteur Wangel, prêt à tout pour sauver son amour, y compris accepter la liberté de l’autre. Ses deux filles, Elisa Erka (Bolette) et Léa Lopez (Hilde), sont parfaitement accordées malgré leurs différences. Pour sa part, Benjamin Lavernhe apporte une note comique à son personnage du vieux prof Arnholm et Adrien Simion une touche de pathétique dans celui de l’artiste phtisique Lyngstrand.

Photo : Vincent Pontet

La Dame de la mer, de Henrik Ibsen, jusqu’au 12 mars au Vieux-Colombier, www.comedie-francaise.fr Version scénique et mise en scène : Géraldine Martineau. Scénographie : Salma Bordes. Costumes : Solène Fourt. Lumière : Laurence Magnée. Musique originale et son : Simon Dalmais. Travail chorégraphique : Sonia Duchesne. Collaboration artistique : Sylvain Dieuaide. Assistanat à la mise en scène : Elizabeth Calleo.
Avec Alain Lenglet, Laurent Stocker, Benjamin Lavernhe, Clément Bresson, Géraldine Martineau, Adrien Simion.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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