La Collection d’Harold Pinter

Un théâtre de l’ambiguïté

La Collection d'Harold Pinter

Écrite en 61, la pièce a été mise en scène pour la première fois en 1965 par Claude Régy avec une distribution de rêve : Jean Rochefort, Delphine Seyrig, Bernard Fresson et Michel Bouquet. Ludovic Lagarde nous offre aujourd’hui une distribution d’exception (Mathieu Amalric, Valérie Dashwood, Micha Lescot et Laurent Poitrenaux) pour une version moderne d’une intelligence et d’une subtilité rares. Outre qu’il a supprimé la cabine téléphonique datée, il traite cette pièce comme un polar sur un mode feutré, faisant des silences mystérieux, de la lenteur (et de la musique en sourdine) la clé d’un suspens, d’un climat qui illustre parfaitement ce théâtre de la menace, tel qu’on qualifie souvent l’univers de Pinter. À partir d’une histoire banale d’adultère, l’auteur construit un jeu vertigineux, hypnotique et sensuel. Au final, la question n’est plus de savoir qui ment, ou pas, ni de déterminer ce qui s’est vraiment passé entre Bill et Stella à Leeds, lors de ce salon de haute couture où ils se sont rencontrés. On assiste à une partie de billard sur le tapis d’une hypothétique vérité. Ce petit jeu pervers interroge la question de la vérité et nous renvoie sans effort et avec un certain malaise à notre époque de complots et d’infox.
La scénographie juxtapose les deux appartements de deux couples, pourtant géographiquement éloignés, dans un décor vintage. Dans l’un le must de la technologie, apanage des artistes et bourgeois branchés, dans l’autre, un tourne-disques posé parterre. A cette époque on vivait volontiers au ras-du -sol. Le fil rouge est tenu par Laurent Poitrenaux dans le rôle de James, l’époux de Stella. Il gère les affaires de sa femme à la tête d’une maison de couture. Manteau prince de Galles faussement élégant et collier de barbe sévère, ce Sherlock Holmes un peu ridicule et néanmoins inquiétant mène l’enquête auprès de Bill (Micha Lescot) l’amant supposé et de Stella qui aurait peut-être inventé cette aventure d’un soir au gré de coups de fil anonymes et d’interrogatoires qui n’aboutissent jamais. Valérie Dashwood est cette femme, désespérément impassible, silencieuse et lascive, qui évoque des silhouettes féminines des films noirs des années 1940.
Chez Bill et James, on change de quartier mais on ne quitte pas la mode et le couple en évoque un célèbre du milieu de la haute couture ; Harry (formidable Mathieu Amalric) se vante d’avoir tiré Bill du ruisseau et d’en avoir fait ce qu’il est ; un couturier très doué qui masque ses faiblesses derrière une ironie bien frappée et un certain sens de la repartie. Micha Lescot, le cheveu orange et gominé, chaloupe dans son jean trop serré ; il tourne gentiment en dérision ce personnage tour à tour sûr de lui, ironique, ou apeuré, silencieux, nerveux ou aguicheur qui finit par révéler ses déchirures intérieures.
Au jeu du chat et de la souris, le chat serait l’époux trompé qui traque la vérité prompte à fuir par un trou de souris ; il pourrait être aussi ceux qui d’une patte agile roulent la vérité sur le dos, s’en amusent un temps et brouillent définitivement les pistes avant de se lasser du jeu. Le quatuor de Pinter pourrait dire comme Jean Cocteau : « Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité ». N’est-ce pas une définition possible du théâtre ? Rarement Pinter aura été mieux compris et mieux servi.

La Collection d’Harold Pinter, traduction Olivier Cadiot, mise en scène Ludovic Lagarde. Avec Mathieu Amalric, Valérie Dashwood, Micha Lescot, Laurent Poitrenaux. Scénographie, Antoine Vasseur ; costumes, Marie La Rocca ; son, David Bichindaritz ; vidéo, Jérôme Tuncer. Au théâtre de l’Atelier jusqu’au 25 juin 2023.

© Gwendal Le Flem

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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