Paris - Théâtre du Châtelet - jusqu’au 13 juillet 2008
The Fly - La Mouche de Howard Shore
Métamorphose lyrique d’un film : l’opéra n’est pas du cinéma
- Publié par
- 6 juillet 2008
- Critiques
- Opéra & Classique
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Passer de la littérature à l’opéra, l’exercice est connu depuis que l’opéra existe. Passer du cinéma à l’opéra, la gageure n’avait pas encore été tentée même si le sujet du film est tiré d’une œuvre littéraire. C’est chose faite aujourd’hui avec la création du premier opéra d’Howard Shore composé sur les rails de The Fly-La Mouche, film référence de David Cronenberg dont il avait assuré la partition il y a 22 ans.
Evénement donc pour cette curiosité lyrique commandée par l’Opéra de Los Angeles via son patron Placido Domingo en coproduction avec le Châtelet de Paris. Où elle fut révélée en avant première mondiale, sous la baguette du même Domingo à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Si les experts en musique contemporaine sont restés sur leur faim, les amateurs de cinéma et de divertissements musicaux furent à la fête. Le passage de l’écran à la scène orchestré par David Cronenberg en personne rassemble tous les ingrédients qui font les frissons et le succès de ce bel archétype de science fiction.
Suspens tendu sur le fil de flash backs
Quand George Langelaan, ex-espion missionné par les services secrets anglais dans le gouvernement de Vichy durant la deuxième guerre mondiale, auteur de polars et mordu de science fiction, eut l’idée de cette Mouche aux métamorphoses monstrueuses, les manipulations génétiques n’étaient pas encore à l’ordre du jour. De même, quand David Cronenberg, 30 ans plus tard, tira de cette nouvelle le film qui lui assura la célébrité, le concept du clonage n’avait pas encore atteint de réalité. Curieusement la transposition lyrique du film et de son sujet ouvre l’imagination à des spéculations nouvelles qui font des mésaventures de Langelaan et de Cronenberg des possibles pour le moins inquiétants.
Si le film de Cronenberg brode allègrement autour de la nouvelle de Langelaan en l’épiçant d’une intrigue amoureuse et de sexualité débridée, sa transposition scénique au Châtelet respecte pratiquement à la lettre le déroulement du film. Le suspens reste habilement tendu sur le fil de flash backs que le librettiste David Henry Hwang dévide comme une pelote de mystère (ce qui n’est pas le cas dans le film mais existe sous forme de mémoire dans la nouvelle).
Des effets spéciaux sans interférence de vidéo
Décors et costumes donnent le « la » sur l’espace et le temps : les années cinquante dans un laboratoire truffé d’ordinateurs géants. Ce lieu unique adossé à une immense verrière derrière laquelle se détachent les contours d’une horloge – on se croirait au premier étage du musée d’Orsay -, se prête à des transformations multiples, simplement gérées par l’apport de meubles et d’accessoires. Et sans la moindre interférence de vidéo, ce qui de nos jours, et de la part d’un homme de cinéma, est à la fois surprenant et… méritoire.
Très classiquement, la première partie expose les faits, laisse l’intrigue se nouer sur une montée lente mais inexorable de tension et d’interrogations, soutenues par un crescendo musical aux cuivres menaçants.
Après l’entracte, quand naissent les quiproquos et que prend forme la malédiction de la métamorphose, la construction dramatique tient le cap et la mue de l’homme-mouche, de Bundle en Bundlefly, se concrétise à coups de maquillages, de poupées animées (un babouin attendrissant), d’acrobaties éclairs exécutées par une doublure. Autant d’effets spéciaux exécutés en direct loin des gros plans de cinéma. Visuellement tout fonctionne mais la musique ne suit plus. L’écriture vocale est hésitante, comme si Shore avait voulu à tout prix se démarquer de la comédie musicale sans pour autant trouver un style propre. Il a beau flirter avec l’atonalité il n’en tire guère le parti qui ferait fuser le bizarre ou grimper l’effroi. Compositeur de musiques de films au palmarès brillant – une douzaine de films signés Cronenberg mais aussi Martin Scorsese ou encore le Peter Jackson du Seigneur des Anneaux – il semble pris de timidité devant la tâche du grand opéra. Sa musique, trop sage semble dater de plus d’un siècle. L’opéra n’est pas du cinéma.
Placido Domingo, ténor quasi légendaire, la dirige avec la générosité et l’honnêteté qui sont les siennes dans tout ce qu’il entreprend et réussit à lui donner épaisseur et vie. Attentif aux instrumentistes de l’Orchestre Philharmonique de Radio France tout comme aux interprètes il soutient à merveille ces derniers dans des enjeux souvent difficiles : Daniel Okulitch, baryton basse américain au timbre clair, encore peu connu en France, campe avec justesse et conviction ce Seth Bundle qui passe de l’insouciance joyeuse à la conscience de sa monstruosité. La mezzo soprano roumaine Ruxandra Donose mène l’enquête sur l’homme qu’elle aime et qui n’est plus lui-même, belle comme une gravure de mode, sensible et superbement en voix. Une découverte !
The Fly-La Mouche de Howard Show, livret David Henry Hwang d’après la nouvelle éponyme de George Langelaan, orchestre philharmonique de Radio France, direction Placido Domingo, chœur du Châtelet et chœur de jeunes d CRR d’Aubervilliers-La Courneuve, adaptation et mise en scène David Cronenberg, décors Dante Ferreti, costumes Denise Cronenberg, maquillages et effets spéciaux Stephan Dupuis. Avec Daniel Okulitch (en alternance avec Laurent Alvaro), Ruxandra Donose, David Curry, Beth Clayton, Jay Hunter Morris, Lina Tetruashvill. Coproduction Los Angeles Opera – Théâtre du Châtelet.
Théâtre du Châtelet, les 2,5,8 & 11 juillet à 20h – le 13 à 16h –
01 40 28 28 40 – www.chatelet-theatre.com