Bruxelles - Théâtre Royal de La Monnaie - jusqu’au 3 novembre 2009
THE RAKE’S PROGRESS de Igor Stravinsky
Reprise des espaces enchantés de Robert Lepage
- Publié par
- 29 octobre 2009
- Critiques
- Opéra & Classique
- 0
La Monnaie de Bruxelles reprend pour une dizaine de représentations la production de ce Rake’s Progress créé en ses murs au printemps 2007, dernière année de la direction de Bernard Foccroulle à la tête de l’institution. Une superbe réalisation qui fut exploitée à Lyon, à Londres, à Madrid puis gravée en DVD. Ce succès porte la marque de son metteur en scène, le Canadien Robert Lepage, as des imageries décalées, pourvoyeur de spectacles de théâtre, d’opéras et même de cinéma dont la poésie a secoué les habitudes scéniques de la fin du dernier siècle.
Ce Rake’s Progress inspiré sur le tard à un Stravinsky largement sexagénaire par une série de gravures du peintre anglais William Hogarth (1697-1764) contient, il est vrai, suffisamment d’extravagances qui émoustillent l’imagination. Les péripéties du débauché Tom Rakewell piloté à sa perte par l’envoyé du diable Nick Shadow regorgent de pittoresque. Verte campagne de ses premières amours avec l’honnête Anne Trulove, grande ville truffée de tentations, bordel de Mother Goose, cirque de Baba la Turque la femme à barbe, machine à transformer la pierre en pain, ruine, vente aux enchères, démence… C’est une forme de comédie musicale, ou plutôt de son pastiche, que Stravinsky composa sur le livret rédigé pour lui en vers par le poète Wystan Hugh Auden. Cela se passe à Londres et dans ses faubourgs mais pourrait se passer dans n’importe quel charivari urbain, à New York, à Hollywood ou dans les néons du music hall… Ces dernières années à Paris, André Engel au Théâtre des Champs Elysées, Olivier Py au Palais Garnier, s’en firent les interprètes féconds d’imagination (voir webthea des 9 novembre 2007 et 5 mars 2008).
La fluidité de l’enchaînement des scènes
Robert Lepage en fait du cinéma , il imagine un tournage où l’envoyé du diable, perché sur une grue mobile, filme sa victime, caméra vissée à l’œil… La vidéo fait échos aux paysages qu’elle plante avec sa plage déserte où se dresse, fantomatique, la demeure paternelle de la fiancée abandonnée, ou encore ses routes qui défilent en trompe l’œil et à toute vitesse. Il y a quelque chose de magique dans la fluidité de l’enchaînement des scènes, ces panneaux qui se dressent et basculent pour ouvrir ou refermer les espaces, ces illusions d’étirement qui font croire que le plateau de la Monnaie est aussi grand que celui de Bastille à Paris, ce qui est loin d’être le cas… Les costumes brouillent joyeusement les pistes de temps et de lieux, tantôt sortis d’un western made in Hollywood, tantôt happés dans l’ambiance londonienne des années trente. Le savoir-faire de Lepage continue de fonctionner à plein régime.
Musicalement on est moins à la fête. Sous la direction du chef hollandais Lawrence Renes, l’orchestre de la Monnaie peine à sortir d’une sorte de somnolence où les rythmes jazzy, les couleurs syncopées, les ruptures perdent un peu de leur fraîcheur. Côté chanteurs ce n’est pas non plus le vrai bonheur, du moins dans la première des deux distributions où le ténor Mark Padmore campe un Tom Rakewell bien fade, où le baryton Dietrich Henschel, en Nick Shadow de dessin animé, compense les défaillances de son timbre par un jeu délié et drolatique. Sally Matthews heureusement sauve la mise, gracieuse et vive, la voix dorée à l’or fin d’où les aigus s’échappent en vrille. Excellents seconds rôles avec notamment la Baba savoureuse et velue de Tania Kross, le père digne de Nathan Berg et le stylé commissaire priseur de John Graham-Hall. Sans oublier la bonne forme des chœurs de La Monnaie, toujours justes et enthousiastes dans leurs nombreux changements de rôles.
The Rake’s Progress d’Igor Stravinsky, livret de W.H. Auden et Chester Kallman d’après William Hogarth. Orchestre symphonique de la Monnaie direction Lawrence Renes, chœurs de la Monnaie direction Stephen Betteridge, mise en Robert Lepage reprise par David Lefkowich, décors Carl Fillion, costumes François Barbeau, lumières Etienne Boucher. Avec Sally Matthews (en alternance avec Rosemary Joshua) Mark Padmore (et Tom Randle), Dietrich Henschel (et William Shimell), Carole Wilson, Tania Kross, Nathan Berg, John Graham-Hall (et Donald J. Byrne), Jean Teitgen.
Bruxelles – La Monnaie, les 20, 21, 23, 24, 27, 28, 30 & 31 octobre à 20h, les 25 octobre et 3 novembre à 15h.
+32 (0)70 23 39 39 – www.lamonnaie.be
crédits photos : Johan Jacobs (production 2007)