Paris, Théâtre Montparnasse
L’Alouette de Jean Anouilh
Une grande Jeanne d’Arc
Sur Jeanne d’Arc, les pièces de théâtre ne manquent pas. Fidèles à l’Histoire ou infidèles. Schiller la fait mourir au combat après qu’elle eut échappé à ses gardiens. Audiberti la dédouble pour lui préférer sa sœur qui est le sosie sensuel de la Pucelle. Anouilh, lui, avec L’Alouette, reste dans la tradition, et même dans l’image d’Epinal, contant dans le désordre d’un procès traversé de flashs back les épisodes de Jeanne quittant sa famille paysanne, convainquant le roi Charles VI, triomphant avant d’être lâchée par le roi, se débattant face au clergé français et à la justice anglaise, puis mourrant sur le bûcher de Rouen. On croit que l’écrivain a oublié le sacre de Charles à Reims, mais il l’a fait exprès et en parle à la fin pour mieux indiquer, en riant, qu’il a pris ses distances avec la chronique. Pas tant que ça, en réalité. Il lui a juste insufflé son style, son goût de l’Histoire considérée comme une vaste blague, sa passion des jeunes filles pures (Jeanne est la sœur de son Antigone), sa moquerie d’anar de droite face aux corps constitués : l’Eglise et l’armée.
La dernière fois qu’on avait vu L’Alouette, c’était il y a une vingtaine d’années, avec Anne-Marie Philipe très vibrante à l’intérieur d’un gros dispositif de cape et d’épée allant jusqu’à placer tout un tribunal à l’avant-scène. Christophe Lidon, qui semble disposer de peu de moyens, joue le théâtre de tréteaux, avec des costumes rapidement changés et une grande liberté chahuteuse sur un plateau peu encombré où s’inscrit en arrière-plan l’esthétique du vitrail (avec une rosace de cathédrale due à Catherine Bluwal). Il va même jusqu’à jouer avec les spectateurs – on ne vous dira pas comment, mais, ces derniers temps, Peter Brook avait la même idée pour Le Costume : ces vieux trucs populaires font avec bonheur reculer l’esprit de sérieux qui étouffe si souvent notre théâtre hexagonal. Lidon a su donner au tableau historique sa charge facétieuse et sa secrète dose d’émotion.
Il faut dire qu’elle nous plaît, l’ « alouette » qui vole et se brise les ailes au théâtre Montparnasse ! C’est Sara Giraudeau, l’air gourd et fruste d’abord, avant d’être la fougue, la fraîcheur et l’intériorité mêmes. Elle donne sa plénitude aux deux dimensions du personnage, galvanisé et brisé. Autour d’elle, la distribution paraît inégale, alors qu’elle est d’une honorable qualité, mais le niveau sonore des interventions gagnerait à être plus harmonieux. On crie parfois un peu trop ! Davy Sardou est un merveilleux roi de France : quelle drôlerie dans la peinture d’un caractère hésitant, écrasé puis maître de lui-même, couard enfin ! Bernard Malaka (l’évêque Cauchon) et Jacques Fontanel (le prélat Boudousse) donnent au langage officiel toute sa puissance sournoise. Dans le rôle de Warwick, on regrettera que Stéphane Cottin – qui est, par ailleurs, le metteur en scène des excellents Cancans de Goldoni qu’on peut voir au théâtre 13 – ne prenne pas l’accent anglais : c’est quand même un sacré affrontement entre les Britanniques et les Français, cette pièce ; il faut y rire des Anglais comme on y rit des Français dans le Beckett du même Anouilh ! Le texte a été sensiblement allégé mais le spectacle en a toute l’âme, porté, emporté par une Jeanne de grande allure.
L’Alouette de Jean Anouilh, mise en scène de Christophe Lidon, décor de Catherine Bluwal, costumes de Pascale Bordet, lumières de Marie-Hélène Pinon, vidéo de Stéphane Cottin, son de Michel Winogradoff, avec Sara Giraudeau, Olivier Claverie, Stéphane Cottin, Marie-Christine Danède, Joël Demarty, François Dunoyer, Jacques Fontanel, Maëlia Gentil, Bernard Malaka, Davy Sardou. Théâtre Montparnasse, tél. : 01 43 22 77 74. (Durée : 1 h 40).
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