Et si c’étaient eux ? de Christophe Montenez et Jules Sagot
La troupe de la Comédie-Française simule un show télévisé lourdingue pour sauver un établissement de vieux comédiens à la retraite.
Voir des jeunes comédiens se grimer excessivement en vieux acteurs diminués physiquement et mentalement a quelque chose de gênant, voire de cruel. Car pour le public d’âge mûr et plus (qui n’est pas quantité négligeable à la Comédie-Française) voir l’âge avancé dépeint de façon aussi uniformément dégradante est une torture d’autant plus cuisante que leur situation, contrairement à celle des comédiens, n’est ni uniforme, ni réversible, ni passagère.
Non que les intentions de Christophe Montenez (l’une des plus récentes recrues de la troupe) et de son comparse Jules Sagot (non membre du Français) soient mauvaises. Au contraire, elles sont très (trop) bonnes. La pièce qu’ils ont écrite et mise en scène est un plaidoyer pour la prise en charge décente de la vieillesse, doublé d’une satire hilarante des émissions de téléréalité. Ce qui fait beaucoup, trop sans doute avec les multiples ruptures de ton que cela suppose. Comme (presque) toutes les premières œuvres, la pièce souffre de surcharge et de longueurs.
Au Théâtre du Vieux-Colombier, le public participe donc en direct à la dernière épreuve de l’émission Et si c’étaient eux ? diffusée sur impots.gouv. Elle est présentée par un animateur sur le retour joué par Laurent Stocker, qui se déchaîne dans ce rôle vulgaire et cabot à souhait. Trois Ehpad pour anciens comédiens menacés dans leur survie constituent l’enjeu du programme : il s’agit de récolter des fonds pour suppléer au financement public qui fait défaut. À la fin, un seul des trois établissements sera sauvé. Or c’est justement le tour des occupants du dernier établissement en lice, celui de Pont-aux-Dames, de séduire et d’émouvoir le public par leurs prestations. Le lieu, sorte de coopérative fondée en 1902 par Coquelin aîné (créateur du rôle de Cyrano) a été créé pour abriter les sociétaires de la Comédie-Française à la retraite (passionnante utopie décrite dans le programme de salle).
Maquillages et perruques
Six anciens sociétaires ont été délégués pour représenter leur maison du mieux qu’ils peuvent et le public du Vieux-Colombier (qui est aussi celui de l’émission de télé) est invité à les encourager en applaudissant sur commande. Les épreuves vont de l’interprétation d’un extrait du rôle de leur vie à la meilleure improvisation en passant par le jeu de la vérité via un détecteur de mensonges. Bien entendu, l’animateur, ridiculement attifé et chevelu, se charge d’appuyer lourdement sur les moments d’émotion et de suspens qui ne manquent pas d’émailler le show. Tous les artistes, dotés d’un nom de scène qui joue avec leur vrai nom propre, vieillis sous les maquillages et les perruques de Cécile Kretschmar, sont dans un état déplorable.
Seul, le plus jeune, Séraphin Bouderoux (Sébastien Pouderoux qui est le mieux servi) est présentable, fier d’un palmarès impressionnant de rôles et de mises en scène. Presque tous les autres sont méconnaissables, certains atteints d’Alzheimer, en fauteuil roulant (bouleversante Florence Viala), manifestement incapables d’affronter pareille épreuve. Pas trop mal conservé, lui, Patrick Darent (pugnace Dominique Parent), éternel second rôle rêvant de devenir le premier, joue iavec une machine à faire des pets et ne se lasse de l’effet produit, forcément comique.
La première à craquer dans l’insupportable mascarade du jeu télévisé est jouée par l’incroyable Julie Sicard. Celle-ci sort soudain de la sénilité qui lui fait confondre les rôles de la Roxane du Bajazet de Racine à celui de la Roxane de Cyrano de Bergerac pour se lancer dans une violente diatribe contre les établissement privés à but lucratif qui exploitent de manière éhontée la faiblesse de leurs occupants. Et de citer ses sources : le livre de Vincent Castanet, Les Fossoyeurs, qui a soulevé l’odieuse affaire. Armand Tresson (génial Clément Bresson) lui emboîtera le pas qui, dans le jeu de la vérité, lâchera la bonde de la colère et assènera une claque magistrale à l’animateur qui l’a bien cherchée.
Au final, le couple formé à la scène comme à la ville, joué par Florence Viala/Alain Lenglet s’extirpe du mutisme où les plonge l’Alzheimer avancé pour jouer les amoureux de Peynet en partance pour un autre monte où tout (re)devient possible. Trop beau, trop sentimental, trop joué pour être vrai !
Et si c’étaient eux ? de Christophe Montenez et Jules Sagot, au Vieux-Colombier, jusqu’au 5 novembre 2023, www.comedie-francaise.fr
Avec Alain Lenglet, Florence Viala, Laurent Stocker, Julie Sicard, Sébastien Pouderoux, Élissa Alloula, Clément Bresson, Dominique Parent.
Texte et mise en scène Christophe Montenez et Jules Sagot. Scénographie et lumières : Florent Jacob. Costumes : Gwladys Duthil. Musique originale et son : John Kaced. Maquillages et perruques : Cécile Kretschmar
Photo Vincent Pontet